Solitude.

Elle allait partir, c'est tout ce qu'il avait pu apprendre.

En vérité elle était déjà partie depuis longtemps. Depuis les reproches de son maître d'armes elle n'était plus vraiment la même. La réapparition de l'âme de Terrycia l'avait bouleversée, ainsi que les meurtres dont elle avait été le témoin indirect. Avait-elle fait le lien avec un élément de sa vie passée, il n'en savait rien. Ce qu'il savait c'est qu'elle était absente depuis longtemps... bien trop longtemps.

Ses tatouages lentement s'estompaient. Ces tatouages théoriquement indélébiles mais imbus d'une magie qui les liait l'un à l'autre... se résorbaient avec l'absence.

Loin des yeux loin du coeur ? Elle avait prouvé le contraire à maintes reprises. Pour elle il avait renoncé à Tristrania, Léïa puis Aénor. Nedylene l'avait quitté pour d'autres raisons qui les laissaient encore très proches, tout comme Aénor d'ailleurs, même s'ils se voyaient peu.

Alors sa résistance s'émoussait. Que valait un amour qui n'était plus partagé, ou qui ne l'était que de façon purement déclarative ? N'avait-elle pas dit elle même que la première des trahisons était l'absence ? Or elle cumulait les absences. Il la guettait du haut de leur appartement. Elle était en vie, il le sentait. Il avait même des raisons de penser que tout allait plutôt bien. Mais pas un courrier, pas une attention... elle n'était plus que silence. Alors, les rares fois où ils s'aventurait à l'extérieur, c'était uniquement pour voir des amis. Les voir seul.

La plupart du temps il le passait seul, patinant - à force de les manipuler - ces morceaux d'armure de vaillance qu'il lui destinait depuis si longtemps... Il sentait s'effilocher son rêve... il n'en était pas triste, non... Ils avaient déjà traversé semblable épreuve. Triste non... seulement vide.

Ceux qui connaissaient sa louve s'en inquiétaient, les autres ne comprenaient pas d'où lui venait cet air sombre. Les plus cyniques insinuaient qu'il s'était encore fait larguer. Il laissait dire. L'article de journal, aussi futile qu'il soit, l'avait achevé. Il n'avait jamais pu vraiment lui en parler... plus personne avec qui échanger... l'appartement ne résonnait plus de leurs voix, ni de leurs rires... encore moins de leurs ébats. Ses draps étaient froissés... il n'avait même pas eu à coeur d'en changer depuis des jours... même si l'odeur de sa louve était désormais indiscernable.

Nedylene était là et souffrait de solitude. Mais, comme lui, elle était engagée. Alors s'ils se consolaient parfois d'un peu de tendresse échangée, ils n'en respectaient pas moins leurs voeux, ne se retrouvant que le temps d'une parenthèse en un réconfort ponctuel qui était comme une respiration dans un monde de brumes ternes. Ils s'aimaient, à leur sobre manière.

Nedylene avait plusieurs fois cité Aénor. Avaient-elles parlé ? Sa "soeur de coeur" lui indiquait-elle, avec sa finesse habituelle, la voie à suivre ? Elle parlait rarement au hasard.

Aénor était là.

Elle était toujours là.

Il la savait amoureuse, elle à qui il avait toujours refusé d'accorder ce qu'elle aurait accepté avec un évident bonheur.

Elune le torturait. Sa solitude pouvait prendre fin s'il le voulait. Elle, Aénor, avait su lui faire comprendre de ses mots voilés, sans jamais remettre en cause ses engagements. Elle lui avait dit qu'elle l'aimait, et il lui avait avoué en retour qu'il souffrait. Il n'avait plus goût à rien depuis le départ de sa louve... elle se proposait de remettre un peu de lumière dans son monde d'ombres grises et insipides.

Dans la nuit darnassienne qui étendait son manteau d'ombre sur les hautes frondaisons de la cité, il adressa ses muettes prières à celle qui n'était pas là :

- "Ma louve, libère-moi de nos voeux ou reviens, mais je ne peux supporter cette cage de solitude que tu m'imposes de nouveau."