Expédition de secours pour Isnarël

"Aidez-moi !"

C'est tout juste s'il ne tomba pas de son griffon qui venait précisement de s'élancer du pied du donjon de Théramore et glissait avec un feulement rauque au ras des mâts des barquasses de pêcheurs. Le sifflement aïgu du vent et ses oreilles bourdonnantes sous l'effet de l'altitude qui variait rapidement le firent un instant douter de sa perception.

C'était la voix d'Isnarel, le petite druidesse que son parrain Thoraïm appelait Petit-Alizé. Elle l'avait déjà contacté de cette manière et il était presque sûr de l'avoir reconnue. Son esprit fonctionnait à toute allure : le dernier contact avec elle remontait à un petit peu moins d'une journée, quand elle avait exprimé des difficultés dont la nature lui échappait, à propos des pirates de la Voile Sanglante. Ils les connaissait bien pour avoir eu lui-même maille à partir tant de fois précédemment avec eux.

Saleté de griffon !

Impossible de le dérouter. Et l'altitude était maintenant bien trop élevée pour sauter sans risque de se rompre l'échine. Malgré tous ses efforts, il ne parvint à aucun résultat tangible. La bête était bien dressée et à moins de la blesser sérieusement, elle ne se détournerait pas de son devoir. Il hésita à user de son talent d'effrayer les animaux mais craignait d'être vidé de sa selle : A cette hauteur et cette vitesse, la chute ne pardonnerait pas.

La maîtresse des griffons de Tanaris avait probablement rarement vu un tel empressement. Dans la fraîcheur nocturne du désert, il déboursa en toute hâte les quelques pièces voulues, renonçant même à récupérer sa monnaie. Il aida lui-même le palefrenier à préparer l'animal et n'attendit pas même que soit sanglée la dernière boucle pour s'élancer, arrachant au gaillard une volée de jurons à laquelle il n'accorda aucune attention.

"ISNAREL, ON ARRIVE !!!" hurla-t-il dans le vent, se libérant d'une tension qui lui devenait insupportable.

Théramore, enfin ! Nerveusement il activa les runes masquées dans son tatouage et qui invoquaient sa monture. Celle-ci à peine matérialisée, il l'emballa le long de la côte en direction de Ratchet-la-Mercantile. La pauvre Galisha poussa un feulement réprobateur sous la pression des talons mais donna tout ce qu'elle pouvait, évitant avec habileté les embuscades de quelques Murlocs auquel son cavalier ne jeta pas même un oeil, le regard dirigé loin au nord, guettant l'ombre d'une voile à l'horizon.

Saleté de Murlocs !

Il aurait dû se douter que quelque chose ne tournait pas rond. Les regards des gobelins, trop appuyés, le bateau totalement vide, le quai désert... Mais il avait tellement hâte d'arriver sur place qu'il avait ignoré les signes. A peine le navire s'était-il éloigné de quelques encablûres que l'équipage affala les voiles et mit en panne sous son regard d'abord absent, puis surpris, puis inquiet. Ca n'en qu'en les voyant les uns après les autres se tourner vers lui et voir circuler sabres et gourdins qu'il comprit que le combat allait être inévitable et inégal : Sans un regard en arrière il enjamba le plat-bord et se jeta dans la mer, n'échappant qu'en se glissant entre deux eaux à la morsure des balles dont il entendait les impacts et voyait les trajectoires percer la surface à sa recherche.

Saleté de Gobelins !

Il enrageait en repensant à tous ces indices qu'il avait manqués. Il était resté trop longtemps immobile sur ce quai, et n'avait pris, il est vrai, aucune précaution pour se faire discret. Il avait même manqué de renverser une charrette lorsque Galisha avait sauté en souplesse par dessus une barrière dans la hâte.

Le navire suivant était le bon. Le capitaine du port avait fait semblant de ne rien remarquer à sa dégaine humide et ses bottes gorgées d'eau et les lamaneurs avaient soigneusement détourné le regard. Ce navire là était autrement plein de passagers débarquant de la Baie-du-Butin et, par chance, ils n'étaient qu'une poignée à embarquer pour le trajet inverse. Il trouva un coin pour enfiler des vêtements secs et prit, de son mieux, un peu de repos dans l'un des hamacs mis à disposition des voyageurs, prenant soin d'enrouler son bras dans les lanières de son sac.

Saleté de hamacs !

Il se réveilla sous les cris du second qui appelait à la manoeuvre. L'odeur caractéristique de la baie arrivait jusqu'ici et il lui semblait déjà percevoir les bruits caractéristiques de la jungle nocturne. Il avait le visage en feu : son sommeil avait été bien plus lourd qu'il ne l'aurait cru et les noeuds et ficelles du hamac avaient dessiné sur sa joue un maillage très disgracieux. Il se frotta à l'eau dans une vaine tentative d'effacer tout ça avant de se précipiter à terre une fois la passerelle installée.

Saleté de jungle, de tunnels, de démonistes, de...

Il n'avait pas encore fait un pas sur le quai que déjà il était moite. Sa cape, ses gants et tout ce qui l'oppressait trouva rapidement une place dans son sac avant qu'il ne s'engage dans le tunnel qui desservait la calanque de Booty-Bay. Comment se faisait-il qu'en tous lieux du monde connu une grotte était synonyme de relative fraîcheur, partout sauf ici !?! Au troisième pas il était déjà en sueur et avait hâte d'arriver au bout et de déboucher à l'air libre sous le regard d'Elune.

Galisha fut une nouvelle fois tirée de son plan d'existence pour emmener son cavalier le long des plages de sable fin. Là au moins on trouvait une relative fraîcheur grâce au petit vent de mer qui soufflait régulièrement. Il lança ses sens à la recherche de ses amis, cherchant à percer l'obscurité pour localiser le point de mouillage des trois navires pirates qu'il avait déjà repérés quelques décades plus tôt en compagnie de sa renarde. Surgissant de la nuit comme un diable de sa boîte, il s'amusa de la terreur qu'il put lire dans les yeux des succubes dont il croisa le regard. Elles jurèrent et pestèrent mais leurs griffes ne rencontrèrent que du vide et les quelques boules de feu que certains démons plus vifs que d'autres lui lancèrent vinrent mourir presque mollement sur son plastron, à peine plus chaudes qu'une vapeur de hammam. Brave Galisha : son regard de félin se jouait des obstacles qui auraient estropié un cheval et c'est donc finalement assez vite qu'il repéra le navire le mieux gardé.

Un seul guetteur sur le pont : Des amis l'auraient-ils précédé, était-ce un piège ? En silence il fit signe à Echeyakee d'aller régler son compte à la sentinelle avant de s'engager sur la passerelle. Mais le sifflement bien incongru qui s'éleva à cet instant là dans la nuit ainsi que la colonne de lumière qui déchira les ténèbres en s'écrasant sur le garde le figèrent sur place au moment où il allait poser le pied sur le pont. Un Elfe s'avançait vers lui au pas de gymnastique avec toutes les apparences de la sympathie : L'Ancien était là, en bonne compagnie !

Un gémissement plaintif acheva de le rassurer : Isnarel n'était pas loin.

Echeyakee l'avait perçu en premier et c'est son comportement qui avait attiré l'attention du barde : Il fixait l'entrée de la coursive d'un air mauvais, l'échine hérissée et les griffes déchiquetant convulsivement les lames du pont de bois. Le barde se pencha alors à l'oreille de son compagnon et lui souffla les mots de connivence.

- "Vas mon tout-beau, cherche Isnarël, vas !"

Sans une once d'hésitation le félin s'élança sur le pont, disparaissant dans les ténèbres. Des rumeurs de combat s'élevèrent rapidement et Gardhran s'engagea suivi de près par Gwenndäelle et l'un de leurs amis rapidement présenté. Des colonnes de lumière zébraient les espaces exigüs dans lesquels ils s'avançaient fébrilement à la recherche de leur amie. Echeyakee grondait pour les diriger, essuyant lui-même des attaques. La rapidité était garante de leur succès et l'effet de surprise indispensable : Ils ne laissaient aucune chance à ces damnés pirates qui avaient à peine le temps de s'emparer de leurs armes. Leur course effrenée les mena bientôt à fond de cale ; dans le bâtiment investi s'étendit bien vite une odeur de sang et de brûlé auxquels les cris d'alarme ajoutaient une teinte dramatique dans la lumière hésitante des lampes-tempête malmenées. Leur action foudroyante laissait l'adversaire dans une désorganisation totale qui leur permit d'atteindre bientôt l'échelle d'accès au plus profond du navire.

La druidesse était là et ses agresseurs visiblement blêmes n'avaient aucunement à coeur de la défendre au prix de leur vie. Voyant apparaitre l'équipe de secours, ils se terrèrent à l'autre extrémité de la cale sans se faire prier pour libérer eux-mêmes au préalable les fers de notre amie.

Elle avait été battue et en portait des marques flagrantes qui déchirèrent le coeur du barde et lui mirent les larmes aux yeux. Elle avait le visage d'un ange torturé et il en fut profondément ému, incapable de dire plus que de très laconiques "Ca va aller ?" et il lui fallut un bon moment pour trouver les paroles de réconfort indispensables. Gwenndäelle mit rapidement en oeuvre la magie nécessaire pour insuffler à la petite Elfe la force de s'extraire des entrailles du bateau et le trajet retour fut largement facilité par la couardise légendaire de ces pirates : leur ardeur au combat était proportionnelle à leur effectif et il ne fallait pas attendre d'eux un grand dévouement à leur cause impie : la plupart étaient terrés dans les coins sombres, les observant sans doute d'un oeil terrifié, et les autres devaient avoir probablement glissé à terre et s'être évanouis dans la jungle depuis longtemps.

Ce n'est qu'une fois arrivé en sécurité dans un bosquet de palmiers qu'Isnarël, à bout de forces, se laissa glisser à terre avec l'aide de Gwenndäelle qui la couvait d'attentions bien méritées. Elle gémissait doucement, son visage tuméfié ayant déjà commencé à réagir aux bienfaits de la magie de notre prêtresse. Nous comprîmes alors encore un peu mieux pourquoi notre extraction avait été si fluide : Une autre équipe du Clan menée par Wimli s'était chargé de nettoyer les abords du navire et de constituer une diversion. La petite Euphémia était là et, croisant son regard doux, le barde sourit enfin pour la première fois depuis bien des heures : Isnarël était sauvée.