Un charme s'éveille

Citation :

Mon Enchanteresse,

Là où tout a commencé...

Là où l'eau, le roc et le vent s'enlacent et se fracassent, s'épousent et s'élancent pour trouver enfin la plénitude...

A l'heure où le feu du ciel embrase l'horizon, ultime hommage à la journée écoulée avant que ne se révèle Elune dans sa gracieuse majesté drapée de nuit.

Je t'attendrai.

En symbole de l'hiver qui un jour prend fin, portes cette rose noire.


Ton bel inconnu

Il avait envoyé ce courrier quelques heures plus tôt et lentement le soleil déclinait dans des rouges flamboyants. Elle ne devrait plus tarder. Son regard se porta sur le gros bouquet de roses blanches qu'il conservait caché dans un repli de rocher.

Il attendait.

Il se sentait étrangement calme, tout comme l'air de cette soirée à l'heure étrange où le jour bascule dans la nuit, le souffle suspendu.

Le raclement d'une botte, à peine audible dans le fracas de la cataracte, attira son attention. Ses sens exacerbés de chasseur lui donnèrent la réponse sans qu'il ait besoin de se retourner : elle était là.

- "Bonsoir bel inconnu."

Il entendit dans la voix les harmoniques de la tristesse qu'elle luttait pour dissimuler, mais on ne trompait pas l'oreille du barde si facilement. Il sourit en pensant à ce qu'il avait à lui dire ce soir et se retourna lentement.

- "Bonsoir mon enchanteresse" reprend-il d'une voix suave.

Il vit lentement s'effacer la tristesse de ses yeux. Le cristal lui avait dit ce qu'il fallait savoir pour comprendre l'origine de ce voile qui se déchirait en sa présence. Ses yeux retrouvaient leur éclat sous l'effet de leurs sourires échangés.

Par Elune qu'elle était belle...

Il la dévorait de yeux, détaillant chaque courbe de son visage, de ses marques, de ses arcades, de sa mâchoîres, surlignant 'arête de son nez et l'ourlet de ses lèvres tandis qu'une main s'égare dans ses cheveux.

- "Cette rose noire est le symbole de la fin de notre hiver mon amour." commença-t-il en les amenant à s'asseoir.
- "La fin de l'hiver et le début du printemps." répondit-elle en souriant.
- "Jette la. Elle doit mourir pour être mieux remplacée."

Elle le regarde avec une lueur amusée, regrettant à peine un instant la douce fragrance qu'elle hume une ultime fois avant de lâcher gracieusement la rose dans le vide. Puis elle tourne vers lui ses yeux de saphir, curieuse de la suite.

Sa main n'hésite qu'un instant avant de s'emparer du bouquet de roses blanches qu'il dissimule encore un instant dans son dos

- "Toujours aussi symboliquement Natchü, je te propose de remplacer cette rose noire, image du chaudron dans lequel ont mûri nos sentiments, par ce bouquet."

Joignant le geste à la parole, il révèle enfin la lumineuse clarté des pétales blancs à la vue de son aimée. Passé un bref instant de surprise, elle sourit presque timidement tant elle est touchée du geste. Mais si son sourire est timide, ses yeux rayonnent de bonheur.

- "Elles sont... magnifiques Cril"

L'espace d'un long instant son regard se fait plus intense, plus vif. Il repense en un éclair à tous ces moments qu'ils ont déjà en commun. Moments tristes, moments rieurs, mais rarement moins qu'intenses.

Il lit dans ses yeux l'amour qu'elle lui porte. Enfin ! C'est un soulagement merveilleux et la tenir dans ses bras, la sentir contre lui, éprouver sa chaleur et sentir l'odeur de ses cheveux... tout est ravissement.

Tandis qu'il l'enlaçe, elle prend doucement son visage en coupe dans ses mains. Il se laissa guider sous la légère pression de ses doigts et bientôt leurs lèvres entrent en contact avec la légereté d'une soyeuse caresse. Leurs regards s'éteignent bientôt sous la tendresse de l'échange, pour mieux éprouver, pour mieux ressentir la délicieuse tension qui les rapproche plus surement que n'importe quel lien de corde ou d'acier. Leurs yeux se ferment sur des lueurs brûlants qui révelent l'intensité de leur désir.

Ils n'allaient pas passer leur nuit sur ce rocher stérile et étroit ! Leurs sens exacerbés ne trouveraient pas ici de soulagement et ils en avaient conscience l'un comme l'autre avec une subtile harmonie.

- "Ca te dirait une petite partie de pêche mon bel inconnu ?"
- "J'y suis très maladroit, tu vas pouvoir te moquer outrageusement !" répondit-il en riant.
- "Sûrement pas, je suis aussi peu expérimentée que toi."
- "Tu es pourtant une grande pêcheresse non ?"

Elle plissa les yeux un instant à la recherche d'une réplique adaptée. Un sourire malicieux se dessina sur ses lèvres tandis qu'elle avançait doucement son visage. Elle lui mordilla tendrement l'oreille en susurrant quelques mots qui le firent rougir de plaisir.

Elle lui adressa alors un sourire adorable, de ces sourires dans lesquelles il lisait tout cet amour qu'elle déversait pour lui, qu'elle leur offrait en s'abandonnant... et qu'il recevait comme un don si précieux.

Elle l'envoutaît encore.

Pour une pêcheuse inexpérimentée elle n'en était pas moins bien renseignée sur les différentes techniques à utiliser ! Il soupçonnait qu'elle avait quand même bien préparé son coup avec ses airs de ne pas y toucher... et ça le ravissait.

Elle savait où, elle savait comment, il se contentait de profiter. Il goûtait à ce plaisir nouveau d'être non plus le guide mais l'acteur à égalité, l'alter ego, le co-bâtisseur de cette union des âmes qu'ils étaient si désireux de construire.

La pêche fut plus un prétexte à une longue discussion qu'un réel exercice. Et pourtant ils progressèrent vite et acquirent ensemble une belle maîtrîse de leur matériel tout neuf, jouant des hameçons et des verroteries pour améliorer leurs performances. Ils riaient de leurs lancers maladroits qui accrochaient les nénuphars, les algues, ou parfois un objet improbable qui venait se prendre dans leurs hameçons on ne sait comment.

Tout était prétexte à rire, de sa position comique quand elle reposait ses épaules en calant la canne sur son bassin, position de "reine de la gaule" disait-il (ce qui ne la fit pas rire du tout pour le coup), à ses longs moments de démêlage quand ils en venaient à croiser leurs lignes maladroitement et que chacun pensait pouvoir mieux faire que l'autre. Ils se taquinaient tendrement, se bousculant à coups de bassin quand une prise s'annonçait pour l'autre.

Elle avait même poussé la perfection jusqu'à apporter de quoi cuire leur production !

Il avait envie de lui rendre cette soirée qui s'acheva sous les frondaisons d'un vieux saule, sur l'une des innombrables langues de terre moussue qui parsemaient la surface du lac de cristal. Le Lakeshire serait la prochaine étape de leur cursus de pêcheurs et en attendant l'amour qu'ils échangèrent vint conclure dans la tendresse cette soirée d'exception... qui deviendrait bientôt la règle. Ils s'y employaient.