Elle était venue la chercher ici, au bout du monde : Scylla.
Elle était tellement hors du commun. Elle s'étaient connues alors qu'elles étaient encore si innocentes l'une et l'autre : Scylla plein de morgue et de fougue, prompte au cynisme et à la dérision et Aelwenn si pure et naïve. La première avait gagné en sagesse. Ses propos avaient pris en maturité et en réflexion. La seconde avait pris bien des claques et s'en remettait doucement. Ce soir là, pour la première fois depuis longtemps, elles se retrouvaient.
Dans un élan commun du coeur, elles s'étaient assises sur le bord d'un ponton, observant Elune qui se reflétait dans les eaux du lac. Elles avaient soif de se parler, de rattraper le temps perdu, et en même temps ne savaient pas par où commencer.
Scylla répétait à l'envie son bonheur de tenir son amie dans ses bras. Aelwenn était heureuse également de pouvoir se blottir contre elle et de profiter d'un moment de décontraction, s'autorisant à moins de discipline en présence de celle qui la connaissait depuis si longtemps. La jeune prêtresse se taisait, profitant de chaque seconde. Elle était lasse des épreuves de la journée qui l'avaient terriblement éprouvée, trop lasse, malheureusement, pour soutenir une conversation. Il lui fallut bien vite se rendre à l'évidence. Quelque soit son désir de satisfaire son amie elle tombait de fatigue.
Scylla ne put réprimer une vive déception qui mit Aelwenn mal à l'aise. Elle se sentait déjà trahir son amie qui venait de si loin pour la retrouver et Scylla ne faisait rien pour la consoler de devoir s'arracher si tôt à sa douce étreinte. Devant le regard triste et las de la prêtresse qui se forçait à sourire tendrement, Scylla finit par comprendre que si elle ne voulait pas que la vierge d'Elune ne devienne un poids mort et silencieux, elle n'avait pas vraiment le choix.
Elles s'installèrent à l'auberge, celle là même dans laquelle le père Famjiso reposait en proie à son étrange malédiction. Aelwenn ne put s'empêcher de sourire quand son amie s'allongea à ses côtés partageant sa couche. Au moins n'auraient-elles pas froid le matin venu et elle appréciait cette douce rupture dans la monotonie de sa solitude. Mais la suite ne fit que faire naitre un sourd malaise dans l'esprit de la prêtresse. Scylla ne pouvait retenir ses gestes et caressait ses cheveux, les embrassant parfois. Un sourd malaise fit son nid dans le coeur d'Aelwenn... Et si... Et si Scylla tombait amoureuse au fil des jours. Elle ne voulait pas la faire souffrir. Les mots doux que lui souffla son amie à l'oreille l'instant d'après achevèrent d'éveiller ses soupçons. Ca n'était plus les mots d'une amie et ces mots la troublaient. Elle ne pouvait se permettre de laisser s'installer ce doute. Elle chercha un instant la formule qui ne blesserait pas celle qu'elle appréciait tant avant de prononcer à voix basse et douce ces mots choisis avec autant de soin que sa conscience ensommeillée le permettait.
"Ma Scyl, garde tes mots si doux et tes gestes tendres pour tes amants, ils te les rendront bien mieux que moi que je ne pourrais jamais le faire."
Scylla parut comprendre et cessa de murmurer, se contentant de se blottir plus fort contre elle quelques instants. La fatigue fit le reste et le sommeil acheva de tout emporter.