Au bord de l'aventure, ils firent un grand pas en avant.

Pour ces derniers pas avant de franchir le portail, il avait voulu faire preuve de détermination, d'une volonté à la fois souple et ferme. Il y serait assez bien parvenu sans ce petit incident.

Trois fois rien, une incompréhension. Mais quand il s'agissait de sa promise, il voyait les choses plus tragiques qu'elles étaient même s'il luttait contre cette tendance.

Certes il avait un peu triché sur le point d'arrivée de leur course de tigres, mais vrai aussi que ce point n'avait pas été très bien défini, et vrai aussi qu'elle était partie avec de l'avance sans attendre la fin de sa phrase. Sur une aussi courte distance ça jouait énormément et elle le savait bien, tout comme elle savait qu'il plaisantait et que ses taquineries n'avaient rien de sérieux, n'étaient destinées qu'à la faire rire et sourire. Il aimait tant l'entendre rire.

Quand il avait vu sa mine contrite, il avait ri encore plus de son bon tour. Et puis quand il lui avait fait comprendre que c'était une boutade, qu'il n'accordait aucun prix à cette victoire, qu'il savait fort bien que c'était elle la gagnante et que sa mauvaise foi était d'autant plus une plaisanterie qu'elle était outrancière... mais qu'elle continuait à se buter à le prendre mal... il avait lentement perdu son sourire.

Pourquoi ?
Pourquoi jouait-elle ce petit jeu sinistre ? Pourquoi jouait-elle les malheureuses alors qu'il n'avait fait qu'une plaisanterie sans importance ? Pourquoi était-elle si tendue ? et pourquoi ne l'avait-il pas détecté ?

En fait... tant de petites choses qu'il n'avait pas voulu voir. La date du mariage repoussée sans cesse avec l'incertitude de celle de Jaylini et Vaya qui ne parvenaient pas à être claires sur le sujet... Leurs amis qui passaient la Porte Noire et revenaient avec des horreurs dans les yeux... Les pressions plus ou moins ouvertes pour les dissuader de porter les paroles de Paix de l'Autre Côté... Les taquineries entre Jaylini et lui aussi peut-être, il faudrait qu'ils en parlent à coeur ouvert... Le retour d'Aurorielle, même amnésique, qui la travaillait sans qu'elle n'en dise rien même s'il le lisait dans ses yeux. Tout ça finissait par les miner doucement et induire des tensions dans leur couple.

Elle voulait le protéger, il le sentait bien. Elle prenait peur de toutes ces rumeurs, et cet incident sans importance (il continuait à croire que c'était vraiment anecdotique) n'était qu'un déclencheur. C'était une mauvaise excuse pour laisser éclater un trop plein accumulé et qui se déversait dans cette brouille d'amoureux. Il en était persuadé.

C'est Soez qui lui avait rendu son sourire.

Avec ses boulons et ses p'tits clous, accompagnée de son chalumeau à pattes et à ailes, elle lui avait tapé sur le crâne et elle les avait traités tous les deux de gamins, à juste titre. C'était une très bonne façon de désamorcer ce pseudo-conflit, d'offrir à sa Lune un retour si attendu. Ils se jetèrent dans les bras l'un de l'autre à la première occasion, révélant à ceux qui savaient écouter avec le coeur toute l'émotion qu'ils avaient en eux à cet instant.

Jamais ils ne se sépareraient. Ils discuteraient ce soir, longuement, plusieurs soirs s'il le fallait. Ils feraient l'amour aussi, c'était écrit et le désir se lisaient dans leurs gestes, leurs sourires retrouvés, leurs doigts qui s'enlacaient. Trop de jours passés à s'occuper des Tisseurs, de ses animaux, de ses travaux d'écriture et de composition, dans la mise en place des relations avec les Tisseurs de la Horde. Elle réclamait légitimement sa part d'attention que trop longtemps il avait remise à demain, trop chargé de devoirs pour s'accorder ce doux plaisir. Il était temps pour le barde de lâcher un peu de lest et de vivre pour lui-même, pour eux deux.

Ils s'avancèrent vers la Porte Noire, main dans la main.

Elle l'a rejoint même sans qu'il lui ait dit où il était. Elle le savait. Elle le sentait.
Plus que ça, elle ressentait le besoin vital d'être avec lui, près de lui. Cette chamaillerie n'est que le résultat de la petite goutte d'eau qui fait déborder le joli vase. Elle s'est sentie piquée au vif alors qu'il n'y avait vraiment pas de quoi. En d'autres temps, elle aurait ri, lui aurait donné une punition malicieuse qu'il aurait acceptée avec un sourire amoureux et ils auraient tout effacé d'un tendre baiser...
Pourquoi cette fois-ci, l'a-t-elle pris tant à coeur ? Elle même ne le sait pas trop.. ou ne veut pas se l'avouer.
Trop de changements, de petites tensions, d'angoisses sourdes dont ils n'ont pas parlé, toujours occupés de part et d'autre. Oh, des petites choses sans conséquence la plupart du temps mais qui troublent le coeur de la prêtresse bien plus que de raison.
La Porte est l'une de ces choses. Les récits d'Isolder et les pressentiments et mises en garde de Soez ne l'ont pas du tout rassurée. Pire encore, elle se sent encore plus oppressée en y songeant. Elle a rêvé.. elle a vu... La mort. Les blessés. Elle.

Quand il est parti, elle a su d'instinct où le trouver. Elle paie de prix de la course à Shellei et s'envole direction les Terres Foudroyées.

Elle entend Soez sur le Fil les traiter de gamins et dire que les disputes, ce n'est que des "bobos au cœur"et esquisse un sourire.
Il ne peut pas y aller seul. Pas sans elle.
Elle ne le laissera pas y aller seul.

Arrivée à destination, elle lance sa tigresse en direction de la Porte.
Il est là.. assis à côté de Soez, les épaules voutées par le poids d'un chagrin bien trop grand.
Est-ce qu'il sent sa présence ? Il tourne la tête. Elle fait un petit signe de la main. Ils s'approchent, chacun faisant la moitié du chemin. Soez, un grand sourire aux lèvres s'éclipse discrètement derrière un pilier tenant Dracco par la queue.
Une excuse. Une larme. Un mot doux. Un sourire. Un baiser. Réconciliés.
C'est enlacés qu'ils rejoignent Soez… Leur amie tente une nouvelle fois de les dissuader puis renonce -ou le fait croire - devant la détermination du barde. Ils s'approchent de la porte, jettent un regard … inquiet ou intrigué…

Elle serre la main un peu plus fort, ferme les yeux et d'un geste vif ensemble, ils franchissent la Porte.
...

Un instant décontenancée par la fraction de seconde du voyage, elle met un instant à les rouvrir.

Des bruits d'explosion.
Des cris.
Le vent chaud et vicié de l'air.
Odeur de souffre.
Le tumulte...

Le bruit de la plaque qui cogne contre son épaule puis une douleur un peu sourde. Un guerrier tauren qui la bouscule. Elle n'a pas eu le temps de bien voir en ouvrant les paupières.
Se frottant l'épaule meurtrie, elle suit du regard Soez qui leur ouvre le chemin puis bien vite, elle cherche à nouveau la main de son aimé. Leurs doigts se trouvent, s'enlacent et se serrent. Sa main tremble un peu dans celle de son promis qui tente de la rassurer d'un tendre regard, même si lui non plus n'est pas vraiment à l'aise. Pas un mot n'est échangé mais ce simple contact suffit pour comprendre qu'ils sont dans le même état d'esprit... dépassés par l'agitation autour d'eux.
L'espiègle gnomette, qui arhborre un visage grave, les dirige vers le maître des griffons et, moyennant quelques piécettes de cuivre, ils s'envolent rapidement pour un endroit appelé "le Bastion".

Flots de guerriers, de magiciens, de prêtres...
Des elfes, des gnomes, des humains, des nains…
Agitation dans tous les sens...
Fourmilière grouillante...

A peine descendus du griffon qu'un cri se fait entendre "Attentioooooon !!!! A l'abriiii !!"
Elle ne comprend pas bien d'où vient la voix mais croit reconnaître celle de Soez et va pour entrer dans l'abri le plus proche - une auberge vraisemblablement à l'odeur de viande grillée qui s'en dégage - puis plus rien qu'une explosion qui la cloue sur place.
Hébétée.
Incapable du moindre mouvement.
C'est à peine si elle a conscience des cris terrifiés de son Loup et de son bras vigoureux qui la saisit pour l'extraire de là et pour la protéger de la chute des météorites brûlantes. Abasourdis par tout ce tumulte, ils s'engouffrent en courant dans l'auberge… espérant y trouver un peu de calme.

Cela faisait maintenant une semaine. Une semaine qu'elle avait franchie la porte afin d'aider à sauvegarder Azeroth des horreurs de la Légion Ardente... Et, elle le savait maintenant, du traître Illidan.

Sa première réaction, en traversant le Portail Sombre, avait été le découragement devant ce qui l'attendait : des démons plus grands que les arbres de Kalimdor, rasant des divisions entières de l'Aube d'Argent... Que faire contre des monstres pareils ?

Son métier.

Elle commança donc par prendre ses repères au Bastion de l'honneur, puis un peu plus loin dans ces terres dévastées, dans un temple Draenei. De là, elle poussa jusqu'à Shattrath, dans la forêt de Terokkar toute proche.

Elle pu constater que ses compétences de discrétion et de combat seraient plus qu'utiles dans ces régions sauvages : la faune et la flore avaient développé des défenses tout à fait impressionantes. Et à cela s'ajoutait les pouvoirs de la corruption qui ici régnait en maîtresse absolue.

Mais elle ne s'avouerait pas vaincue d'avance... Au contraire, le moment était venu de franchir une nouvelle étape.

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Une ombre s'approchait de la gigantesque démone aux six bras. Elle observait la créature corrompue, cherchant dans ses mouvements les noeuds vitaux sur lesquels elle frapperait en premier.

- "Peu importe mon nom..."

Avisant un rocher, elle s'y hissa, prit son élan et bondit dans son dos.

- "Je suis Jaylini."

La démone hurla lorsque la lame empoisonnée traversa sa chitine pour y toucher un point vital. Elle eut un réflexe en forme de coup de coude, que la Kaldoreï reçut de plein fouet. Elle se rétablit à temps pour éviter un coup d'épée mortel.

- "Je me moque de mon passé..."

Elle s'accrocha au bras de la démone hurlante afin d'atteindre la tête. Un coup de dague savament placé l'étourdit quelques secondes, le temps pour l'elfe de creuser une longue entaille dans les reins de la créature, se raccrochant à son corsage.

- "Je me moque de ma famille..."

Parant les coups furieux de son adversaire enragée, elle profite de la panique naissante chez cette dernière pour lui entailler les poignets.

- "Je suis là pour me battre..."

La démone regarde dans le vague, et marmonne des mots sombres... elle incante !

- "Détruire ma cible !"

D'un coup derrière le genou, elle fait vaciller son adversaire, tourne sur elle-même et lance son pied dans le thorax de la géante, lui coupant le souffle.

- "Et ça me fait..."

Elle bondit sur la démone affaissée pour atterrir sur son torse, les dagues sur le cou violet. Son regard n'est que haine, aucun regret à avoir.

Le regard de Jaylini est rouge comme le sang qui s'écoule de ses plaies.

De regrets, elle n'en a pas.

- "...PLAISIR !!!"

La tête aux yeux de feu roule quelques mètres plus loin...