La libération de Nedaya

Le plan était parfait... sur le papier. Charz avait maugréé, râlé, certifié qu'il couperait les oreilles de Nedaya à raz pour lui passer l'envie de s'embringuer dans des histoires pareilles. Leham ronchonnait aussi, ne serait-ce que par solidarité avec son pote. Charyba était silencieuse, dévisageant chacun à travers ses pupilles de chat contractées.

- "l'Loup vient pas ?" s'étonna Leham, circonspect.
- "Hors de question, Ned' m'a fait savoir que c'était plus ou moins de sa faute tout ça. C'est lui qui est recherché." répondit Realinda, déterminée. "Juste deux mots à Inawë. Elle arrivera bien à le garder au loin le temps d'une soirée."
- "De toutes façons pour ce qu'il serait utile... C'est l'affaire des furtifs ici." lança Sayine, toujours aussi piquante dès qu'il s'agissait de son aîné.
- "On a aussi besoin d'Odeane au cas où ça dégénère, et d'Zugerth pour nous permettre une fuite rapide." expliqua la guerrière.

Sayine ne rétorqua pas. Il était question de son amie Nedaya et elle comprenait bien que la soeur de cette dernière se sente investie d'une responsabilité de premier plan et tienne à diriger les opérations.

Sayine, Odéane, Charyba et Zugerth avaient acquiescé immédiatement. Le démoniste et la druidesse avaient inspecté la cage avec circonspection, vérifié attentivement le travail de Charz et enfin accepté d'être enfermées. Le bricolage du forgeron était ingénieux mais pas particulièrement discret hélas. Encore fallait-il nourrir un doute, ce qu'ils s'ingénieraient à éviter.

Ce qui leur manquait à tous ? Leurs armures, leurs armes, leur équipement d'une façon générale. Realinda avait pris les choses en main. Toute la partie basse du chariot, censée contenir vivres et matériel avait été vidée de son contenu. C'est là que les furtifs, Sayine et Leham, s'installèrent au milieu des pièces d'équipement.

- "Halte là !" grinça une voix de Réprouvé dès que le chariot, tracté par deux Worgs impressionnants, s'engagea dans la barbacane des ruines. Il était invisible... et probablement pas seul. Realinda jeta un regard lourd sur ce Sombrefer qui avait une dette envers elle.

- "Pas d'lézard, grogna celui-ci dans sa barbe. Fais pas chier Real, j'sais c'que j'fais."
- "J'en doute pas. T'as intérêt à assurer sinon tu plonges avec nous", lui chuchota-t-elle en retour.

Un dialogue s'engagea entre une silhouette décharnée masquée par des ombres profondes et manipulant une lourde hallebarde. Si Real y comprenait peut-être quelque chose, les autres rien, rien du tout. Ils jouaient de leur mieux leur rôle de prisonniers matés... un vrai rôle de composition pour un Charz qui n'était visiblement doué d'aucun talent d'acteur. Les Kaldoreïs se réfugiaient dans un autre coin de l'étroite cage, Realinda semblant protéger une Odeane ensanglantée... par les bons soins d'un Zugerth qui, par bonheur ou malheur, dégoulinait de moins en moins mais qui avait quand même pu fournir de quoi confectionner un maquillage sommaire. Charyba plissait les yeux, la haine à peine voilée dans son regard.

- "Ne bouge pas ma chérie", souffla Realinda, tendue, à l'oreille de son élue qui répondit d'un hochement de tête discret.

La discussion se déroula bien plus facilement que prévu. La garde n'était pas trop regardante pour les transports d'esclaves, bien moins en tous cas que pour le transport de denrées de valeur dont une partie tombait régulièrement du chariot au passage des portes. Le tour d'inspection fut rapide jusqu'à ce que le réprouvé désigne le bas de caisse d'un mouvement du pied en lançant un ordre.

Le Nain avait anticipé, plongeant le nez dans un sac la seconde d'avant pour pouvoir justifier de n'avoir rien entendu. En acteur chevronné il s'adressa au garde en extirpant du sac une pleine poignée de résidus de sombrefer prêts à fondre.

- "Drynak ezk ager'ath matr y gakael ?"
- "FozoMahel.."
- "Esk agmital-di Drynak ! Rutimi !"

La discussion s'engageait. Elle dura peu. Vidant la moitié de son sac le Nain réussit à obtenir du visage décharné un semblant de sourire satisfait. Des années de dissimulation l'avaient rompu à l'exercice de tromper son monde et servait bien la fine équipe aujourd'hui. Quand on savait combien Realinda avait dû lui mettre la pression pour qu'il accepte de renoncer à son déguisement qui était presque devenu une seconde peau, on ne pouvait qu'admirer cette forme de... loyauté ?

Secouant les rênes avec un ordre sec, il engagea le chariot dans la cour intérieure.

Un sacré capharnaüm régnait dans la cour intérieure. Maintenir un semblant d'ordre dans cette cohue était une gageure et on comprenait mieux que la surveillance à la porte ne soit pas aussi stricte qu'auparavant tant il y avait à faire ici. Le blocus quasi total décrété pendant quarante-huit heures et encore prolongé de quarante-huit heures de plus avait provoqué une accumulation impressionnante de chariots de ravitaillements aux portes de Fossoyeuse.

Plus bas, dans les profondeurs de la cité, un Orc maugréait. Le marchand d'esclaves, dont les chariots étaient bloqués dans la longue rampe d'accès à l'ascenceur n'en finissait pas de fulminer contre Varimathras et ses décrets absurdes. Les égouts étaient une vraie passoire, on le savait. Mais Akohor ne supportait plus que la Horde, à travers leurs "alliés" réprouvés, se montre aussi ridicule dans sa défense et ses remarques acerbes avaient piquées les Réprouvés au vif. Le marchand, comme bien d'autres, avait vraiment l'impression d'avoir fait les frais d'une politique de l'exemple. Il n'avait pas vraiment tort.

Son tour vint enfin.

- "Vous êtes là ? On est en train de monter, je serai dans la cour dans quelques instants maintenant. Un groupe de cinq chariots à bâche kaki, tiré par des raptors. Je dois être dans celui du milieu je pense".

C'était la voix de Nedaya. Fatiguée mais encore fière même si on parvenait à ressentir la volonté que lui réclamait cette humeur un peu forcée. Ses efforts ne faisaient que galvaniser encore un peu plus ses compagnons qui étaient stationnés non loin de la sortie. Le désordre était impressionnant. Les gardes avaient depuis longtemps renoncé à aligner les chariots au delà des plus proches de la salle du trône, si bien que personne de s'étonna qu'un Nain Sombrefer aille garer son attelage pratiquement à l'envers. du sens de progression. De toutes façons ses voisins lui avaient fait savoir qu'il y en aurait bien pour une demi-journée avant qu'ils ne soient enfin appelés à progresser et certains conducteurs avaient depuis longtemps libéré leurs bêtes de leurs harnais pour les mettre à l'attache. Certains, ne disposant pas des ressources nécessaires pour les nourrir, étaient d'ailleurs repartis pour tenter de vendre au mieux dans les villages avoisinants.

A la faveur de la nuit tombante, Sayine, Charyba et Leham se glissèrent en dehors de leur cachette pour se couler sous le chariot, ombres parmi les ombres. Charz vérifia encore son mécanisme : il n'avait pas souffert des trépidations du voyage et la cage était prête à s'ouvrir. Zugerth restait calme et silencieux, comme plongé dans une profonde méditation ce en quoi Odéane l'imitait, résistant à l'envie de se plonger dans la sécurité égoïste de ses ombres. Realinda tentait de se reposer au mieux en prévision de l'action à venir. Le Nain allait et venait, dissimulant plutôt bien sa nervosité tout en se renseignant sur les temps d'attente, le ravitaillement des bêtes que des négociants malins vendaient à prix d'or trop opportunément, et la cadence des ascenceurs dont l'un était en rade le temps qu'un mage régénère son enchantement.

Dans la nuit presque sans lune, ils faillirent manquer le chariot de Nedaya. Il n'y en avait pas cinq mais un seul en vérité et c'est quand la captive fit savoir qu'elle sentait enfin l'air du dehors qu'une tension palpable s'installa sur le groupe. Elle titillait encore ses geôliers à voix forte pour être plus repérable. "Tiens vous avez enfin branché la climatisation ?!" "Je ne trouve pas la couverture supplémentaire" "Où est la rune de réglage du chauffage ?" "Zut, je vais moins sentir vos haleines de pouilleux"et autres inepties qui ne manquaient pas, depuis des jours, de leur user les nerfs et de calmer les siens. Le Nain se porta immédiatement en avant et repéra l'attelage que deux réprouvés menaient à la lumière de leurs torches sur un emplacement où il passerait la nuit. Les lourds chevaux de bât n'avanceraient pas loin à la nuit tombée.

- "J'vais m'la faire... j'en peux plus d'cette garce qui s'fout d'not'gueule à tout bout d'champ !!"
- "Elle m'énèèèèrve !!!"
- "J'te jure qu'dès qu'on est sorti d'Lorda on s'cale dans un coin et on s'la fait. "
- "Faut pas... elle s'ra dépreciée t'es ouf. On va s'faire lourder. Je jure qu'elle m'les pète menu mais faut pas qu'on s'laisse couillonner."
- "Ta gueule, m'en fout, m'a trop fait chxxx cette salxxx."
- "Va faire un tour." ordonna le conducteur à son acolyte excédé en prenant sur lui une fois de plus. "C'est à cause que tu tiens pas tes nerfs qu'on nous a foutu l'autre grognasse."

Il parlait de cette guerrière réprouvée aux yeux fous qu'on leur avait collé dans les pattes "sur ordre". Un cadeau de la Mayhliss probablement, ou encore du sombre maître machin dont le nom leur échappait constamment. L'autre le regarda, hésitant. S'il partait rejoindre un peu plus loin les deux gardes et l'"accompagnatrice" qu'on leur avait collé pour le voyage, il ne resterait plus qu'un seul gardien, ce qui était contraire aux consignes. D'un autre côté... on n'avait pas encore passé les murs de Lordaeron alors il n'y avait pas trop lieu de s'en faire. L'accompagnatrice était bien en train de se la couler douce elle.

- "J'me tire, j'vais les r'joindre, elle m'saoule trop cette macaque à grandes oreilles."
- "Pas trop long hein ! Faut qu'on s'relaye pour l'empêcher d'dormir tu t'souviens des consignes d'la démo."
- "T'inquiète." jeta l'autre en s'éloignant, déjà soulagé tandis que son compère allait s'emparer d'une pique pour aller secouer la Kaldoreï et la faire couiner un peu. "sans l'abîmer" avait dit la Réprouvée : à regret il tourna la pique pour n'user que du manche et l'empoigna avec la plus grande fermeté. Il grimaça de douleur en ressentant encore la douloureuse coupure au creux de sa paume. C'était un souvenir de la fois précédente où la saleté d'esclave avait soudain tiré l'arme à elle et lui faisant échapper des mains. On l'y prendrait pas à deux fois, d'autant qu'elle avait déjà brisé la pique précédente qu'il faudrait remplacer. "Jamais plus une Kaldoreï" se jurait-il intérieurement "jamais plus".

Le Nain s'avança dans le campement improvisé que les caravaniers avaient monté. Pas grand chose en vérité : quelques caisses, quelques débris mis à brûler au milieu d'un cercle de pierres et moellons, quelques gourdes, bouteilles ou bidons et les discussions s'étaient engagées. Le sujet de conversation était une évidence : l'embouteillage monstre, ses causes, ses conséquences et autant de versions que d'intervenants sur ce qu'il y aurait eu lieu de faire, comme autant de solutions miraculeuses aux problèmes de sécurité de Fossoyeuse. Et pourtant un nouveau problème se profilait dans l'ombre.

Charyba était en poste. Les mots de l'Orc à son collègue avaient suffit à faire monter dans ses tripes une rage qu'elle allait se faire un plaisir de diriger de la façon la plus vicelarde. Leham, lui, veillait de loin sur le Nain en se glissant comme une ombre dans les chariots enchevêtrés. Charz fit jouer son mécanisme, libérant d'un coup tout un pan de la cage qu'il rattrapa avec l'aide de Realinda pour le déposer au sol. La lourdeur de l'ouvrage surpris la guerrière qui manqua de le laisser échapper. Elle ne le rattrapa qu'au prix d'un affreux claquement de métal que ni Zugerth ni Odéane ne purent éviter.

Sans doute l'Elfe s'en voulait-elle mais elle se contenta de se mordre les lèvres avant de glisser un oeil à l'extérieur : la voie était libre.

Libre ? C'était sans compter sur les hyènes qui pulullaient un peu partout dans les ruines, d'autant plus depuis que quantité d'ordures, restes, défections et reliques de repas s'ammoncelaient dans tous les recoins. Le malheur était que parmi ces hyènes, il en était des domestiques, dressées à la garde comme des oies du Capitole. Le bruit n'en alerta que deux, peut-être parce que deux autres étaient plongées dans un sommeil tout druidique. Sitôt qu'elles eurent perçu le trouble, elle se mirent en chasse de l'animal isolé qui empiétait sur leur territoire en lançant leur ricanement stupide. Ce dernier ne manqua pas d'alerter leur maître, un mort-vivant à la conscience toujours rongée par le roi-liche et qui avait depuis longtemps renoncé à s'intégrer dans la population de Fossoyeuse.

C'est bête une hyène. Et ça n'hésitait jamais à le prouver. Elle ne trouvèrent rien de plus malin que de sauter à la gorge d'un Charz qui n'attendait que ça pour passer ses nerfs d'avoir été enfermé pendant bien trop longtemps à son goût. Certes il n'avait récupéré encore que ses épaulières, mais il fallait voir leur allure de hachoir à jambon : absolument par usurpé puisque le crâne du premier canidé s'écarta de part et d'autre de lui-même en rencontrant l'obstacle tranchant. La seconde, plus chanceuse - si l'on peut dire -, esquiva un coup de poing à broyer une enclume d'un bond qui lui aurait sans doute coûté un lumbago si une Realinda stressée ne lui avait pas définitivement emboîté la mâchoire inférieure dans le crâne d'un coup de pied magistral, lui évitant bien des souffrances inutiles.

Zugerth faillit avoir le temps d'incanter mais le Réprouvé qui avait assisté avec un regard halluciné à cette courte scène bien vite conclue fut soudain pris d'un tremblement que Realinda connaissait bien : son Elue s'était emparé de l'esprit si simple et le faisait approcher docilement avant de le pivoter, à la merci d'une guerrière qui se fit violence pour ne pas lui éclater la tête et se contenter d'un assommage à sa façon. Le tas d'os mérita son nom plus que jamais tant l'effondrement était disgracieux. Pfffu ! Rien à voir avec les envolées sublimes de la gente elfique, particulièrement la gente féminine si habile à virevolter à l'ultime seconde avant de laisser la suite des opérations à plus fort qu'elles.

La situation semblait sous contrôle.

Les yeux de fauve de Charyba scrutaient la scène, juchée sur les barils d'un charette voisine. Sayine inspectait, tournant de loin autour du chariot pénitenciaire et de son conducteur à la recherche d'un piège quelconque... La jeune voleuse ne remarquait rien, et ce rien lui paraissait précisément suspect. Elle laissa l'Orc s'emparer de la pique, soulever la bâche de la pointe de cette dernière, et jeter un oeil à l'intérieur...

Extinction des feux.

Sayine se serait arrêté là mais un craquement d'os se fit entendre, suivi d'un feulement étouffé. Un dernier coup de dague dans le larynx évita que plus qu'un souffle et un brouillard de sang ne jaillissent par mégarde de cette gorge ouverte. On ne revit pas le corps. Puis la voleuse se elle se hâta de tirer toute la bâche, aidée bientôt par Charyba-panthère qui acheva de tirer le tout derrière les vestiges d'un muret envahi d'herbes folles. La cage contenait la forme sombre d'une Elfe assise, aux traits tirés et au regard terne.

°Ned ? C'est Sayine. Tu te sens comment ?°
°J'ai failli attendre.° répondit la captive avec déjà une pointe de soulagement dans la voix.
"C'est bien ce que je pensais, t'es mieux avec un chapeau, je voulais t'en apporter un, mais il ne passera pas entre ces barreaux. T'en aurais bien besoin pour masquer ta mine de déterrée." plaisanta la sauveteuse en chuchotant avec du bonheur dans la voix.

Nedaya n'était pas si en forme que ça : elle ne rétorqua que mollement d'un °va te faire voir° qui se voulait joyeux mais masquait mal une intense lassitude. Pas étonnant si ses tortionnaires l'avaient privée de sommeil depuis plusieurs jours.

- "Comment qu'ça s'ouvre c'truc ?" interrogea Leham grimpé sur le chariot.
Nedaya se camoufla instinctivement en étouffant une exclamation de stupeur. Sayine fit elle-même un bond en arrière.
- "Elune ! Leham ? C'est toi ? Tu m'as filé la trouille idiot !!" chuchota Nedaya depuis l'ombre de sa cage.
- "Erf... 'cuse-moi. J'cherchais l'truc pour ouvrir c'machin."
- "Fais gaffe, y'a d'la magie. Zugerth est là ?"

Charyba miaula la première avant de s'évanouir dans la nuit en direction des autres complices.

Le chariot n'était peut-être distant que d'une petite centaine de pas, mais ils parurent les plus longs du monde à une Odeane tendue comme un arc. Les ombres qui l'enveloppaient la rendait pourtant presque aussi difficile à entrevoir qu'un furtif mais elle n'en avait absolument pas l'aisance. Et pourtant elle restait un monstre de discrétion par rapport à un Charz rutilant qui peinait à étouffer cliquetis et reflets de son attirail hérissé de pointes. Realinda s'en sortait un peu mieux pour sa part, mais sa nature elfique y était pour beaucoup, à ne pas s'y tromper. Charyba, féline, revenait vers eux pour les guider.

Les ruines de Lordaeron grouillaient de vie. Par partout bien entendu, mais bien trop à leur goût à tous. Les lieux qui n'étaient pas colonisés par des créatures pensantes l'étaient par des créatures domestiques, et ceux qui étaient occupés ou patrouillés par ces dernières étaient bien entendu désertés de la quantité insoupçonnée de créatures sauvages, de l'insecte au félin en passant par une myriade de rongeurs, de reptiles et d'oiseaux de toutes tailles et toutes formes, en grande partie noctures hélas. Charyba était à son affaire pour réduire chacun à un silence onirique et ne cessait de murmurer ses incantations de part et d'autre, prévenant un nouvel assaut de hyènes.

Ca faisait bien des choses à éviter, bien trop de choses au goût des deux humains qui ne cessaient de se cogner ou de buter partout, au point que chacune des Kaldoreï se chargea de l'un d'eux. Sayine les guidait dans le chaos de chariots, charrettes, voitures et autres véhicules détellés et entassés, dont certains étaient probablement habités et dont il fallait veiller à ne pas inquiéter les divers animaux de bât qui se reposaient, attachés aux chassis ou à des piquets et représentant autant de pièges pour les infiltrés.

Pendant que la prêtresse se précipitait au devant de la captive pour la soulager au plus vite, Zugerth inspecta rapidement la cage, n'y voyant pas grand'chose sans l'aide de la dague magique de Leham qui pulsait d'une douce lueur bleutée et qu'il aveuglait au maximum pour ne pas attirer l'attention.

- "Mince... c'est soudé. Magie du feu." grommela le démoniste. "Je n'ai pas grand'chose de discret pour ça hélas."

Charz s'essaya à forcer les lourds barreaux de chêne de trois pouces d'épaisseur, sans succès. Une arme aurait bien vite eu raison du tout mais Realinda se retenait. Sa hache aurait été bien trop bruyante. Ils restèrent un peu stupide avant que Realinda ne propose une solution.

- "Invoquez la Zugerth"
- "Ca ne fonctionnera pas. Y'a du plomb un peu partout dans les ferrures, elle en sortirait déchirée de partout." répondit le démoniste désolé en désignant les multiples boulonnages.
- "Je lui confie ma pierre de foyer." suggéra Odéane, inquiète pour l'état de fatigue avancé de la prisonnière.
- "Et qui la réceptionnera ?" interrogea Realinda.
- "Et bien toi Rea ! Nos pierres vont au même... "

Un bruit de conversation assez fort progressait vers eux. On reconnaissant le timbre du Nain qui forçait sa voix de façon notable. Les regards se croisaient, chacun évaluant la solution.

Zugerth commença son incantation.

Leham joignit Bastianne sur le cristal, qui le reçut à sa façon coutumière, hautaine et évidemment dérangée en plein travail mais qui daignait accorder un peu d'attention à la requête pourtant déjà bien connue. Sayine et Charz participèrent au rituel et bientôt l'académicienne fut sur les lieux.

La profusion de sons et de lumière ne laissa pas les ruines sans réaction. D'un peu tout autour des questions montaient et des entrechocs résonnaient. Leham et Charz grondaient à l'incompétence supposée du démoniste incapable de baisser le volume. Charyba grimpait déjà sur le chariot d'un bond de chat aussi souple qu'invisible pour surprendre des aggresseurs qui n'étaient pas encore en vue. Zugerth ne réagissait pas, concentré sur son invocation. Il fallait vraiment faire vite. Il ne fallut d'une bonne minute avant qu'un tocsin ne résonnât entre les murs plus que centenaires. La brillante professeur faisait des manières.

En fait non, elle n'en faisait pas. Elle ne faisait que le laisser à croire de fort belle manière. Bientôt elle se matérialisa sous leurs yeux. Mais elle continuait d'argumenter sur le cristal quant à la perte de temps et d'énergie que lui occasionnait un tel micmac, jouait les pinailleuses et les grincheuses et ne cessait d'agacer son monde, tant par le cristal que par la parole. Tout ceci était mal pensé, échafaudé à la va-vite par des esprits incompétents, et voué à un cuisant échec que l'avenir révelerait inexorablement. Néanmoins - signe d'une maîtrise plus que certaine de son art - ses mains s'agitaient et de sa bouche sortaient les sons de la magie au milieu de ses mots déplacés.

Realinda s'était penchée sur Odéane et lui murmurait de nouvelles consignes :
- "Vite, c'est toi qui y va ma chérie. Je donne ma pierre à ma soeur et tu pars avec elle. Tu es plus à même que moi de la prendre en charge. Nous on suit le plan." Le regard de la guerrière ne laissait pas place à la récrimination. Dès qu'elle se fut assurée de la pleine compréhension de son aimée, elle l'embrassa hâtivement sur le front. "Je vous rejoins immédiatement."

La pierre quitta la main de Realinda pour glisser dans les doigts d'une Nedaya visiblement affaiblie.
- "Tant que je ne me change pas en Rea, j'veux bien tenter le coup. Vous me signez une décharge ?" plaisanta Nedaya d'une voix épuisée.

Hroth crût sauter en dernier dans le portail, suivi d'un fauve qui redevint Elfe sur ses talons. Le retour ne leur avait pris que le temps d'un battement de cil... ou plus précisement d'aile de papillon.