Dans le silence de la nuit

Tic-Tac..
Tic-Tac...
Tic-Tac...

La prêtresse s'était redressée presque en sursaut dans le grand lit, toute en sueur.
Une nouvelle nuit.
Un nouveau réveil.
Et une nouvelle fois cette sensation de panique… Aucun souvenir, aucune vision… Rien. Juste .. juste cette peur qu'elle pouvait ressentir jusque dans les moindres recoins de con corps et de son esprit pendant quelques secondes.
Cherchant du regard l'horloge accrochée au mur, elle aperçut l'heure… encore et toujours la même… 2h43.

Tic-Tac..
Tic-Tac...
Tic-Tac...

La pendule de la cabine résonnait dans la quiétude de la nuit. Une minute… puis une autre. Les secondes s'égrainaient lentement.
Dans le silence, rien que le clapotis des vagues contre la coque et une respiration apaisée près d'elle.

Elle s'extirpa en douceur des draps pour ne pas éveiller son Loup qui, par miracle, dormait encore à poings fermés et, après avoir revêtu à la hâte une chemise abandonnée sur le dessus d'une chaise, sortit un instant sur le pont du voilier.
Les rais de lune éclairaient la baie de PenneLune d'une lumière blafarde. Quelques nuages dans le ciel voilaient de temps à autre l'éclat de l'astre et une petite brise qui faisait à peine bouger les cordages des voilures. Resserrant sur elle les pans de la chemise, elle s'appuya contre le bastingage.

Huit nuits.
Huit nuits qu'elle s'éveillait ainsi, à la même heure.
Huit nuits qui s'interrompaient à 2h43, la laissant en sueur et paniquée par … elle ne savait pas.. n'en avait même aucune idée… Elle ne se souvenait ni d'un rêve, ni d'un cauchemar.

Les premières fois, elle avait mis ça sur le compte du tangage du bateau et des ses haut-le-cœur plus que fréquents à cause du mauvais temps qu'ils avaient essuyés au début de leur croisière. Décidément, elle était un bien mauvais mousse disait-elle en riant à son Loup. Il la regardait tendrement, lui passant un linge humide sur les tempes alors qu'elle était restée alitée pour une petite sieste quand la houle s'était faite trop hargneuse.
Et puis chaque nuit, l'une après l'autre, un réveil. A 2h43.

La sixième nuit, alors qu'ils avaient débarqué près d'une petite cascade, le doute n'était plus permis. Ce n'était pas le roulis du bateau. C'était autre chose.
Cela faisait aujourd'hui huit fois que les réveils la surprenaient au milieu de la nuit. Chaque nuit depuis… Elle chercha dans ses souvenirs ce qui s'était passé les derniers jours avant leur départ.
Les menaces de Leneïa… non, cela faisait des jours qu'ils n'avaient plus eu de nouvelles…
La rencontre avec Terrycia et les prophéties… mais cela avait eu lieu avant…
La retraite de Soez… Non, c'était plus lointain encore…
Les tristes nouvelles des Dragonniers… non.. non plus.
Elle exhumait de sa mémoire toutes les choses qu'elle avait pu faire, ou dire, ou voir durant les derniers jours, passant en revue chaque voyage, chaque rencontre, chaque parole.
Isolder et sa compagne… Non, elle était si heureuse qu'il ait trouvé enfin son rayon de soleil.
A moins que…

Elle ferma les yeux un instant cherchant au plus profond d'elle les souvenirs de cette rencontre juste avant de partir. Elle l'avait croisé à Forgefer alors qu'elle faisait quelques courses pour le voyage. Il attendait sa compagne qui étudiait à la bibliothèque. Cril était avec Helbreck en train de régler les derniers détails pour la garde de "leur ménagerie" comme ils aimaient à dire.
Après un petit mot sur le Fil pour que personne ne s'inquiète, ils avaient pris un peu de temps pour discuter. Cela faisait longtemps qu'ils en s'étaient pas retrouvés ainsi à papoter de tout et de rien. Du nouveau bonheur d'Iso, du mariage d'Aénor et Cril qui approchait, de leur ancien ordre commun qui se disloquait.

Et si…
Et si ce qu'elle avait appris, entendu ce soir là dans le noir de sa t……
Une chouette hulula dans la nuit, interrompant brusquement la méditation d'Aénor.

Respirant un grand coup, elle regarda Elune, cherchant une réponse qui ne vint pas.
Alors, d'un pas lent, elle regagna la cabine, et se glissa sous les draps, contre son aimé.
Il bougea légèrement et dans un geste d'amoureux endormi, l'enlaça dans ses bras et murmura des mots qui se perdirent dans la chevelure turquoise.
Elle se recroquevilla contre lui, cherchant dans les battements de son cœur l'apaisement du sien, et ferma les yeux…. En espérant que le sommeil viendrait la cueillir... Jusqu'à la nuit suivante.

Elle venait de se coucher auprès de son loup elle cherchait la douceur de son étreinte, elle ne du pas le faire très longtemps.
Elle glissa lentement vers le sommeil blottit contre son élu, elle avait besoin de lui, de le sentir contre elle, et il le savait.
Lentement la vie reprenait son cours, les choses reprenaient leur places, et a jamais cette douleur resterai quelque part en elle, comme une souffrance, un souvenir, mais il fallait poursuivre.
Malgré la dispute, les mots et la colère, les choses se calmaient….


2H43
Non pas encore…..
Ça s’était arrêté …..
2H43
Pourquoi de nouveau….
Pourquoi encore…..
2H43
Ces réveils allaient ils se répéter sans cesse?
De nouveau ce manége allait il se remettre en place?
2H43
Les nuits se ressemblaient…
Les réveils aussi……
2H43
Les même sentiments….
Les même impressions…
Sans cesse….


Une nuit de plus…
Une crainte de plus..
Elle en avait assez…
Elle était blottie contre son loup et craignait le repos qu’elle espérait, même si elle se rendormait rapidement après, ces réveils répétés étaient fatiguants.
Morphée finit tout de même par l’emporter et elle sombra.

2H43
Elle s’éveilla de nouveau en sursaut, mais une chose était différente.
Elle….
Elle avait entendu une voix…
Une voix douce et calme…
Comme celle qui lui avait dit de ne pas s’approcher..
Elle a parlé d’un puit de lune…
Un Puit de lune perdu, oublié..


Elle se recoucha et tourna la tête vers son loup qui dormait à poing fermé.
Sa tête était pleine d’incompréhension , de questions…
Qui….
Pourquoi…
Comment…
Bercée par ces questions elle finit par s’endormir de nouveau, blottie, enserrée dans les bras de son aimé.
Elle aurait le temps d’y penser demain

De loin, on peut à peine distinguer une délicate silhouette faiblement éclairée par la lumière du puits et celle d'Elune qui joue à cache cache avec les nuages. La nuit est sombre. La nuit est calme. Pas un bruit ni pas, ni hululement. Même les griffons à quelques mètres se sont endormis dans leurs nids.

Assise en tailleur sur la pierre lisse, vêtue d'une simple robe de laine qui recouvre ses jambes, elle est plongée dans son lourd grimoire. Ses yeux couleur de Lune s'ouvrent parfois, parcourant les lignes d'écriture fine et aérienne. Puis ils se referment paisiblement et alors, on peut apercevoir quelques lueurs scintillantes provenant de ses mains … douce lumière qui semble se canaliser peu à peu avec l'énergie du puits.
Le halo qui monte de l'eau sacrée danse lentement devant les yeux de la chouette posée sur l'arbre juste à côté. Celle ci n'ose même pas hululer, observant avec un mélange d'inquiétude et de fascination le spectacle qui se joue devant elle.
Puis doucement, les éclats se meurent et la nuit se fait sombre à nouveau.

Avec des gestes calmes, elle pose le volume à sa droite et alors qu'une douce brise se lève, elle vient refermer les pans du gilet bien trop grand qui recouvre ses épaules. Elle niche un instant son visage dans l'étoffe épaisse, respirant l'odeur de pin discrète qui imprègne les fibres. L'odeur de son amour. Ses mains se posent et se joignent sur son ventre presque plat et un sourire naît sur ses lèvres.
Elle sent la quiétude l'envahir. Ses traits se détendent et le monde autour d'elle disparaît. Rien n'autre n'a d'importance que ce ventre porteur de vie et l'amour qu'elle ressent. Pour ce petit être qui grandit en son sein. Pour son aimé.

Depuis combien de temps est-elle là maintenant, assise sur le rebord du puits ?

Encore une nuit où elle s'est éveillée. Encore une nuit avec cette sensation si.. étrange. Elle ne s'y habitue pas. Avant, elle se contentait de quelques pas, d'un verre de lait… puis se rendormait paisiblement. Aujourd'hui, elle a peur. Pas pour elle non, mais pour lui. Ou elle comme dirait son Loup. Ses lèvre soulignent un doux sourire à cette pensée.

Elle a tout essayé avec l'aide de son aimé. Rien n'y a fait. Des potions d'endormissement, des rituels de protection magique. Chaque nuit, le même réveil. La même heure.

Alors cette nuit, elle vient demander l'aide d'Elune encore une fois. Une prière monte lentement dans le calme de la nuit. Les mots elfiques qui s'échappent des lèvres peuvent paraître à l'inconnu qui passe non loin une douce mélopée, mais pour l'elfe assise au bord du puits de Lune c'est une requête à sa Déesse. Les nuages qui obscurcissaient le ciel s'écartent lentement et la lumière de l'astre illumine à peine ceux qui sont sous sa bienveillance.
Longtemps encore, elle prie, concentrée, absorbée par les mots qu'elle adresse à Elune. Celle ci semble veiller sur elle et l'inonde de sa lumière…

Puis le doux sourire se fige sur le visage de l'elfe. Elle frissonne. Ses traits détendus se crispent.
L'eau du puits semble tourbillonner. Et elle se sent attirée. Attirée vers le fond de l'eau. Inexorablement. Puis soudain, elle sent.. une main.. froide frôler son visage. Un long frisson parcourt tout son corps. Cette main… ce n'est pas son Loup… Ni chaude, ni douce, ni tendrement caressante tel qu'il le fait si souvent…
La main si froide, glaciale se pose sur la peau nacrée de sa joue.
Et une voix lui murmure "Tout ira bien maintenant."

Elle ouvre les yeux, blanche comme Elune elle-même, étouffant un cri. A peine croit-elle apercevoir une silhouette d'elfe dans le fond du puits que la chouette jusque là discrète brise le silence de la nuit avec un long hululement.

Il s'éveille subitement, sans savoir pourquoi, désorienté. Sans doute a-t-il fait un rêve, mais quel rêve ? Le souvenir en avait volé en éclat sous la violence du rappel à la conscience. Il n'en restait que de vagues traces d'un sentiment d'oppression.

Ses yeux sont restés fermés. Seule sa conscience s'étend, repérant les bruits, les odeurs, les mouvements... Sa Lune n'est plus là !

D'un mouvement un peu trop vif il se lève, repoussant loin le drap qui aurait voulu le retenir. Il la sent, elle est là, preès du puits de lune. Il la ressent sans erreur possible et il ne s'en faut que d'un instant qu'il glisse vers elle dans la nuit comme un chat dans les ombres d'une lune éclatante de blancheur.

Elle sursaute ! Et lui aussi ! Pourquoi ?

Tendu, il projette sa conscience dans tous les plans d'existence à la recherche d'une présence. Elle entend le bruit de ses pieds dans les herbes dures. Une chouette lance son cri puis le calme revient.

- "Tu... tu es encore éveillée mon Aube ?"

Elle sursaute à nouveau en entendant la voix et les pas pourtant si familiers et si rassurants.

Son regard tarde à quitter le puits. Elle cherche l'ombre, la forme, le visage qu'elle a cru apercevoir dans l'eau limpide. Rien. Rien mis à part le reflet d'Elune qui se trouble légèrement sous l'effet de la brise. Elle sent encore le froid engourdir sa peau et tout son être….

Elle se retourne lentement et pose sur lui ses yeux troublés, mélange de peur, d'inquiétude, de désarroi, d'incompréhension…de soulagement aussi de voir son aimé enfin à ses côtés.
Elle lit dans ses yeux ce mélange de sentiments, elle sent son angoisse aussi. Mais il est là, près d'elle, près d'eux et plus rien ne compte. Rien ne peut lui arriver.

C'est en desserrant l'étreinte de ses mains sur son ventre porteur de vie pour la tendre à la rencontre de celle de son Loup qu'elle se rend compte qu'elle tremble.