Une nuit comme elle en fait trop.

Elle ouvrit les yeux, tâchant de reconnaître en premier lieu l'endroit où elle avait passé la journée.

C'était un de ses réveils qu'elle n'aimait pas : pas eu le courage de se faire soigner le matin, résultat, son corps n'était que douleur lancinante et son cerveau embrumé. Trop dormi. Elle regarde le ciel. Comme la Lune est haute !

Beaucoup trop dormi.

Si elle voit le ciel, c'est qu'elle est à l'air libre. Effectivement, elle a dormi dans un arbre de Nagrand. Sous elle s'étend la savane. Quelques talbuks paissent tranquillement près de son arbre. Elle continuerait bien à s'entraîner à les monter, mais il y a plus urgent : manger, se soigner, se laver.

Elle se redressa lentement, faisant le compte mentalement des os fêlés, des muscles claqués, des ecchymoses, fractures et autres entorses qu'elle avait subi pendant la nuit.

Chasser l'ogre n'est pas un sport reposant.

Fouillant son sac, elle rassembla le nécessaire à un bon petit déjeuner. Pain, fromage, lait frais et quelques uns de ces énormes raisins de Talaar.

Elle prit quelques minutes de digestion, avant de descendre de sa branche.

Redressant un de ses doigts cassés, elle invoqua son tigre et prit doucement le chemin de la forêt de Terokkar.

Sous la pâle clarté de la Lune, les herbes devinrent hautes, les feuilles s'élèvèrent, et la savane laissa place à la forêt. Puis la forêt à la ville.

Elle ôta sa capuche et monta tranquillement les escaliers de l'infirmerie. Les infirmières draeneis commencaient à avoir l'habitude de la couturière : l'une d'elle l'accueillit et l'allongea sur un des lits de fortune qui jonchaient le sol de cet asile de réfugiés et de héros en tout genre.

Là, elle se laissa déshabiller, oindre, masser et soigner, abandonnée aux caresses des jolies cornues en blanc.

Une heure plus tard, elle se leva, reprit ses affaires, comme neuves après être passées entre les mains d'un artisan du cuir de la Ville Basse, salua ses soigneuses, et écrivit un petit mot amoureux à Vaya avant de descendre vers la terrasse de la Lumière, se dirigeant vers les portails.

Direction : Hurlevent.

- "Bonsoir Tisseurs !" lanca-t-elle joyeusement avant de traverser le flux arcanique.

Elle avait donné rendez-vous à Jamina dans la soirée, devant la Taverne du Parc. Devant la boîte aux lettres, surtout.

Jamina avait un foutu caractère, des manières de guerrière et un accent du sud à couper à la halebarde. Mais c'était aussi une intendante efficace, malgré sa jeunesse.

La jeune femme lui détailla l'état des stocks. Comme d'habitude, le tisse-mage allait manquer. Une visite aux boucaniers de la Voile Sanglante allait s'avérer rapidement utile. Ce serait une occasion de rafermir les relations qu'elle entretenait avec le Cartel, au passage.

Puis, elles épluchèrent ensemble les commandes sur un coin de table, Jaylini au porto et Jamina à l'hydromel.

Elles se séparèrent une demie-heure plus tard.

A présent, il lui restait à voir certaines personnes, dans certains lieux. Des lieux sombres, et des personnes parfois très peu recommendables, à côté desquels les gobelins étaient des hôtes prévenants.

Puis elle écrivit quelques lettres.

Point par point, elle construisait sa toile. Elle commençait à s'y connaître, entre celle des Tisseurs et la sienne propre... Sans parler de la soie d'araignée qu'elle utilisait pour de nombreux articles de couture...

Sur le Fil, justement, les gens disaient bonne nuit : la nuit avançait, et il était temps pour la plupart d'aller dormir.

Et l'heure pour elle de revêtir son armure.

Elle termina son courrier, dit bonne nuit aux Vertefeuilles qui partaient se "coucher", puit sorti sa pierre de foyer, qu'elle activa.

Là, dans l'auberge de l'éminence de l'Aldor, elle fit l'inventaire de ses sacs, poches et emplacement répartis sur elle.

Poudre éclipsante, poudre aveuglante, bandages, potions de silence, potions de soins, de nage, de puissance, de contorsion, des dagues un peu partout, ses gants, "modifiés" par Soez, qui fonctionnaient toujours à merveille. Elle fit jouer les griffes rétractiles à nouveau : parfait.

Quelques grappes de raisin pour la route (elle aimait beaucoup ce raisin Telaari en fait), ses fioles de poison à l'opposée.

Fort bien. Il restait encore de la place pour d'éventuelles trouvailles, ou quelques bouts d'étoffe dont elle saurait bien faire quelque chose.

Elle commença à s'harnacher. Elle enfila d'épais bas, par dessus lesquels elle fit glisser le pantalon de facture thalassienne, qui lui assurait une parfaite liberté de mouvement. Elle enfila une chemise épaisse, puis son bustier si solide, cadeau d'un officier du bastion pour services rendus. Malgré la qualité de cette pièce, elle envisageait de changer d'ici peu, préférant une tunique encore plus efficace.

Puis, ceinture, gants, bottes, cape si fluide qu'on aurait pu la croire liquide, indispensables brassards, quelques bijoux et artefacts magiques, et enfin, sa cagoule récemment acquise à prix d'or.

Elle enfila par dessus l'ensemble le tabard de l'Aube d'Argent. Elle savait bien que Crile aimait la savoir porter le papillon des Tisseurs. Mais il était tout de même très peu adapté à ses occupations nocturnes.

On ne chasse pas la sardine au harpon.

Elle glissa sa dague préférée du moment dans son fourreau, et sortit enfin de l'auberge, se dirigeant vers le maître des hippogriffes.

Reposants.

C'était ce qui qualifiait le mieux ses combats contre les jeteurs de sorts. Ces pauvres bougres s'évertuaient à commencer des incantations qu'ils ne terminaient jamais. D'un coup de pied, d'un coup de dague bien placé, elle les interrompait, les déconcentrait, frappant sans relâche des coups précis, sur des points précis.

De ces points vitaux dépendaient nombre de réactions nerveuses, qu'elle savait exploiter pour obtenir des effets bien particuliers : paralysie, hémorragie, blessure critique, entre autres.

La masse de chair, de graisse, de muscles et d'arcanes qui la surplombait l'apprenait à ses dépends : discutant "paisiblement" (c'est à dire à coups de poings) avec son congénère, il s'était demandé pourquoi celui-ci, tout à coup, ne répondait plus. Il ne s'était pas posé la question longtemps : une douleur aigüe venait de lui traverser l'échine. La blessure occasionnée aurait eu raison de la plupart des créatures d'Azeroth. Mais elle était dans l'Outreterre, et il s'agissait d'un ogre. Il se retourna, poings levés, et les abbatit sur une petite forme noire dont les oreilles pointaient hors de sa cagoule.

Jaylini esquiva les poings gargantuesques d'une volte, qu'elle acheva en poinçonnnant l'artère fémorale du mastodonte, provoquant une hémorragie. Pas facile avec toute cette graisse. L'ogre s'avéra être un chaman lorsqu'il commença à incanter un sort de soin, reconnaissable à la lueur verte qui irradiait entre ses mains.

L'elve ne l'entendait pas de cette oreille. Elle planta sa dague gauche dans le gras de la jambe, ce qui n'arrêta pas l'incantation. Fort bien... Elle mit le pied dessus, prit appui et bondit vers la gorge, qu'elle trancha d'une vrille, avant de se rétablir sur l'épaule du monstre.

Pas assez pour le tuer, mais suffisement pour le calmer pendant quelques secondes, qu'elle mit à profit pour resserer sa toile nerveuse en frappant sournoisement son adversaire dans la moëlle épinière durant sa descente.

Les cinq points étaient placés, le destin de cet ogre était écrit. Elle n'avait pas envie de s'amuser avec, aussi elle le termina vite. L'ogre leva les poings, dans un ultime sursaut de rage et de frayeur envers ce moustique aux insupportables piqûres.

Il ne les rabaissa jamais : Jaylini posa ses deux dagues sur le noeud nerveux qui croisait les points déjà touchés. Elle eut à peine à forcer pour que la poitrine s'ouvrît sous les yeux incrédules du chaman, qui bascula face contre terre.

Le deuxième mourrait dans son sommeil.

Les guerriers lui donnaient plus de fil à retordre. En particulier lorsqu'ils mesuraient deux fois sa taille, et que leurs biceps étaient aussi larges que ses cuisses.

Muni d'une "hachette" dans chaque main, l'ogre combattait furieusement, et les coups pleuvaient.

Elle ne pouvait pas les éviter tous. Malgré sa masse, l'ogre était vif. Elle esquivait le maximum, parait le surplus et encaissait le reste du mieux qu'elle le pouvait, protégeant ses points vitaux en attendant de placer ses blessures stratégiques.

Normalement, elle l'aurait assommé, béquillé, sonné, étourdi, bref rendu inopérant pour la majeure partie de l'affrontement. D'ailleurs, c'est ce qu'elle avait fait avec son précédent adversaire.

Mais là, elle était à court de surprises. Elle lâcha ses dagues et dégaina un sabre dans le même mouvement. L'ogre s'interrompit, puis poussa un hurlement assourdissant ! Qui lui déchira les tympans. Pour elle qui possédait une ouïe très fine, même pour une kaldorei, cette attaque la déstabilisait complètement. Il fallait qu'elle réagisse, elle se faisait rouer de coups, son esprit s'échappait, elle ne ressentait plus rien...

- "Non !!"

L'ogre eut la surprise de voir la petite créature sombre se transformer en ombre vivante.

Dans la chaleur de l'Ombre, Jaylini retrouva l'usage de ses oreilles en quelques secondes. Elle se concentra alors, et, lorsque les volutes noires disparurent, ce fut un nouvel adversaire que l'ogre eut à affronter.

Pas bien longtemps, au demeurant : il succomba très vite.

Ils succombent tous, de toutes façons.

Jaylini ramassa le collier de perle du guerrier ogre. Le quarante-septième.

Encore trois et elle pourrait passer à autre chose, se dit-elle.

Elle fit une petite pause à l'écart. Cachée dans les ombres mouvantes des herbes folles, elle dégustait un de ces délicieux raisins.