Le Caveau de la Vapeur

Ces nagas dégageaient une odeur de poisson proprement infâme, à peine dissipée par des élémentaux aqueux à l'aura de magie impressionnante. Et pourtant... pourtant aucun d'entre eux n'avaient reculé à l'heure d'affronter l'indicible.

Pas reculé.... hmm... il fallait le dire vite. "Deux futurs morts" avaient lancé sa filleule dans une bravade spontanée. Effectivement, les deux cités furent vite rayés de la liste des vivants, mais c'était sans compter sur un fâcheux revers de destin. Ce pauvre druide, qui avait pris les devants, se fit surprendre au détour d'un rocher par une monstruosité végétale : elle fondit sur lui comme un arbre abattu. Dame Tristrania n'eut qu'à peine le temps de voir le danger avant qu'un revers de branche couverte de mousse gluante ne la balaye négligemment. Cet évanouissement lui épargna la vue de la masse grouillante de nagas, attirés par le fracas, qui affluaient avec un regard haineux.

RETRAITE !!!

L'habitude de donner des ordres sur les champs de bataille avait outrepassé la retenue naturelle de la jeune prêtresse. Hélas, Embrouille avait déjà perdu connaissance et se trouvait bien trop loin pour être sauvée, au delà de la montagne de bois à l'odeur d'humus qui se précipitait sur sa prochaine proie : elle et la jeune mage qui les accompagnait.

La course poursuite dans les éboulis suintant d'humidité fut heureusement de courte durée. La motivation n'étouffait pas la créature qui eut tôt fait de tourner les talons pour retourner sucer le substrat fangeux où elle puisait sa pitance.

Les deux rescapées revinrent prudemment sur les lieux, puis les mots de pouvoir d'Elune résonnèrent dans la sombre caverne au silence pensant, à peine troublé par d'innombrables infiltrations qui gouttaient de façon ininterrompue. Ils s'entreregardèrent un instant et n'eurent guère besoin de mots pour corriger la situation. Tous étaient des aventuriers expérimentés : les leçons furent vite tirées... et le tas de feuilles défait en bonne et due forme. Il résista pourtant vaillamment mais, ne bénéficiant plus de l'effet de surpris ni du soutien des terribles nagas, céda finalement sous l'implacable assaut de griffes, de fer, de poison, d'ombre et de givre qui l'accabla jusqu'à ce que plus aucune vie n'anime son corps devenu cadavre.

Tel était le prix de la survie de Zangar. Jamais le cercle cénarien n'autoriserait qu'on puise aussi outrageusement dans les réserves d'eau d'un région aussi extraordinairement riche. Aelwenn se souvenait encore avec horreur des paysages dévastés qui avaient été le siège des premières expérimentations, loin dans les collines du nord-est. Plus jamais ça.

La suite se déroula pratiquement sans anicroches. Le druide semblait parfois un peu juste à la tâche et le reconnaissait sans sourciller ni faire preuve d'un orgueil déplacé. Il accepta modestement l'offre de la magicienne qui avait déjà exploré les lieux quelques fois et s'avéra une guide de qualité. Nombre d'éminences parmi les habitants de ce sombre caveau apprirent à leurs dépends ce qu'il en coûtait de s'opposer au cercle cénarien. Et si, au final, le seigneur des lieux, usant de stratagèmes déloyaux, opposa quelque résistance, il n'en finit pas moins défait, implorant piteusement quelque clémence que la gardienne Jhang lui avait refusé d'avance.

L'occasion qu'elle attendait se présenta en revenant dans le grand réservoir : Un peu intimidée, Aelwenn prit son courage à deux mains pour présenter sa demande à dame Tristrania. Humblement elle lui avoua son intérêt pour l'oeuvre de la Lumière Aveugle, intérêt déjà ancien mais qui avait grandi récemment. Elle pria la haute prêtresse de lui accorder une certaine discrétion quand aux raisons qui l'amenaient dans cette maison nouvelle, ce que la dame, trésor de bienveillance, lui accorda sans réserve, lui faisant grâce d'une confiance qui ne pouvait qu'appeler la profonde reconnaissance de sa jeune consoeur. Aelwenn confia son ancien tabard aux couleurs délavées aux soins de l'Elve qu'elle s'apprêtait à quitter à regret tant était bienfaisante son aura de bonté.

Rendez-vous avait été pris pour le lendemain soir, à la neuvième heure, devant la cathédrale de Hurlevent. Inutile de revenir sur la fébrilité d'une Aelwenn qui s'escrimait à contacter ceux et celles dont elle aurait apprécié la présence à ses côtés. A la consigne, elle parvint même à arracher un sourire au préposé habituellement si stoïque, ce qui eut le bonheur de la faire rire d'elle-même en retour et de détendre un peu l'atmosphère. Mentalement elle passa en revue tout ce à quoi elle avait pu penser. Pourvu qu'elle n'ait rien oublé.

Dyli, où es-tu ?