Combien de jours s’étaient écoulés depuis l’attaque ? Elle ne savait même plus. Les jours ressemblaient aux nuits et les nuits aux jours. Elle avait l’impression de naviguer dans un épais brouillard, dans une pénombre permanente.
Le soir de l’assaut, c’était Arlequin qui l’avait raccompagnée chez elle. Elle était mal en point : la bousculade l’avait jetée sous les pieds des dizaines de combattants et elle n’avait du son salut qu’à quelques braves qui l’avaient extraite de là non sans mal. Tous ses muscles la tenaillaient, ses os semblaient danser la gigue dans son corps, un œil au beurre noir et une pommette tuméfiée.. elle était loin de ressembler à une reine de beauté elfique.. mais l’inquiétude était ce qui la rongeait le plus. Arlequin avait fait couler un café fort à faire flotter un fer d’elekk et avait attendu patiemment qu’elle en boit une tasse fortement sucrée. Il avait hésité à la laisser seule mais elle l’avait convaincu que cela irait. Il s’inquiétait aussi de laisser Lini et les enfants aussi longtemps et Cril avait du être retardé, il ne fallait pas qu’elle s’inquiète. Que si elle avait besoin, elle n’avait qu’à utiliser le fil et ils viendraient. Elle avait acquiescé à tout le regardant disparaître derrière la protection de la porte.
Mais Cril n’avait pas reparu. Elle ne se rappelait que de l’avoir vu se faire engloutir entre des guerriers massifs, elle entendait encore sa voix criant son nom se perdre dans la clameur de la foule… et puis plus rien. Pas un mot, un signe, pas une pensée. Le Fil ne vibrait plus, le cristal non plus. Un jour. Une nuit. Puis un autre… puis une autre nuit… autant d’heures qui s’égrenaient sans nouvelle. Et l’inquiétude qui montait au fil des minutes. Il était elfe à se débrouiller seul durant des jours. Il paraît souvent pour de longues chasses. Mais jamais sans laisser de nouvelles ainsi.
Dès qu’elle avait pu, elle était repartie le chercher… Il ne pouvait pas avoir disparu ainsi. Elle avait l’impression d’avoir retourné toute la boue, chercher dans les moindres recoins… et rien. Pas un indice, pas une trace… Ce n’est qu’au 4ème jour qu’elle découvrit une botte. Son cœur manqua un battement. C’était bien la sienne. La reprise du cuir sur le talon portait sa signature. Elle le revoyait encore maugréer contre ce morceau de cuir dur comme une pierre, qu’il avait eu toutes les peines du monde à mettre en forme malgré le tannage minutieux.
Elle avait alors remué tous les environs des heures durant mais rien. Eche ne parvenait pas non plus à trouver une odeur pour se repérer et tournait d’impuissance comme un lion en cage. Et, alors que les dernières lueurs du jour disparaissaient derrière les collines arides, ses genoux avaient fini par ne plus la porter et elle s’était effondrée dans la boue nauséabonde des rives de Caer Darow, la botte serrée contre elle, de longs flots de larmes ininterrompus coulant sur ses joues.. en silence…
Comme une ombre elle était rentrée chez eux et n’était plus ressortie…
Elle dormait à peine et quand enfin le sommeil arrivait à lui voler quelques instants, elle était assaillie de cauchemars. Elle le voyait, les cheveux au vent, lui faisant un signe de la main, perché sur les collines verdoyantes non loin de la frontière des Maleterres. Elle s’approchait… et le sourire en coin se muait en grimace, le vert émeraude de ses yeux disparaissait.. il n’y avait plus que le noir, le vide, le néant. Et le rire résonnait à travers les collines, un rire à glacer n’importe qui… Ou alors elle se voyait, devant une tombe encore fraîche, une rose noire sur la terre amassée.. et une masse de terre plus petite à côté, un rose blanche dessus… et sa propre tombe alignée à côté. Rien d’autre que le vent qui emportait les grains de terre un peu plus loin… Elle se réveillait alors en sursaut, des perles de sueur au front, et se précipitait sur le berceau de sa fille pour la serrer contre elle comme son bien le plus précieux.
Il n’y avait bien que les pleurs d’Elerina pour la ramener dans le monde réel. Aénor marchait comme un automate. La nourrir. La faire dormir. La changer. Lui parler… Mère et fille semblaient se muer dans une inquiétude et une douleur intérieure. Le bébé hésitait à pleurer, fixant sa mère avec ses grands yeux lumineux, se demandant où pouvait bien être le chevelu à la voix suave qui l’endormait tous les soirs. Eche dormait à ses pieds, ne quittant pas la jeune elve une seconde. Même Galisha pourtant si joueuse ne bougeait plus, restant dans les jupes de sa maîtresse. Quant à Aénor, elle avait perdu les mimiques et les jeux qui faisaient rire aux éclats l’enfant pour un rien. La maisonnée semblait vivre au ralenti…. Jusqu ‘à ce que les voix de Nael et de Nedy résonnent sur le Fil…
°direction Austrivage aé° vibra Naël
°Ae viens à l'auberge d'austrivage° continua Nedylene
°Vous... voulez dire... que ?°
°non directement à l'hôpital d'Austriavge . Vite !° La voix de Naël laissait supposer ... le meilleur ou le pire. La prêtresse n'eut pas le temps de questionner plus.
°Je viens ° répondit Aénor angoissée.
Elle enveloppa sa fille en simple lange dans une épaisse couverture de laine, prit sa besace, et courut jusqu’à la demeure de Mère à qui elle confia l’enfant. La vieille elve n’eut même pas le temps de lui demander si elle avait des nouvelles de son fils qu’Aénor était déjà repartie en direction du ponton pour prendre le premier navire pour les Royaumes de l ‘Est.