Nouveau départ...

Inlassablement elle répétait les mêmes mouvements ; Garde haute, ouverture, feinte, coup d'estoc. A quelques pas de là, son mentor l'observait, sous le couvert d'Elune, simuler cette passe d'arme qu'il avait lui-même mise au point et enseignée à sa seule élève. Elle possédait sans nul doute un potentiel certain, mais ce qui la caractérisait réellement demeurait cette volonté sans borne de repousser toujours plus loin ses limites. Une telle fougue et une telle détermination forçaient le respect de l'ancien. Aurorielle aurait été promise à de hauts faits d'armes et à une mort au champ d'honneur, inscrivant ainsi son nom en lettre de gloire dans les livres d'Azeroth, si ses désirs n'avaient pas été tout autres.

Des années au par avant, il avait recueillie la jeune elfe, lui enseignant le maniement des armes, cet art noble qu'il tenait lui-même de son père. Oui, il s'était risqué en la prenant sous sa tutelle, son âge rendant l'enseignement plus ardu. Mais il avait vu, dans les yeux de l'elfe, briller une lueur qu'il avait également connue. Cette flamme si caractéristique que fait naître le désir de vengeance. Le Guerrier savait d'expérience, combien l'idée de se rendre une justice vindicative était galvanisant pour le corps et l'esprit. Il lui suffisait de l'entretenir comme un feu de détresse, l'alimentant tous les jours pour que jamais il ne s'éteigne. Certes, il risquait de la pousser vers un chemin périlleux, où la raison et la colère se disputent leur hôte. Mais qu'importe... Il avait entre les mains un diamant brute, qu'il lui suffisait de façonner avec précaution pour y faire apparaître les plus belles facettes de sa vocation et les plus brillants aspects de sa personnalité.

Mais la Fille de l'Aurore ne se livrait pas facilement. Découvrir les raisons de cette colère latente, enfouie sous des tonnes de bienveillance fut une tâche impossible à réaliser. Il se contentait donc de lui rappeler la vie qu'elle avait avant, lui signifiant par ce fait, les raisons qui l'avaient conduites jusqu'à lui. Nul besoin de les connaître. Seule Aurorielle devait s'en souvenir.

De jour en jour la Guerrière devenait meilleure, ingurgitant les leçons de son maître avec une soif inextinguible que seule la fatigue semblait pouvoir adoucir. Les mois succédèrent aux semaines et les années aux mois. Et c'est alors qu'il fit son entrée dans la vie de sa protégée. Un barde, qu'elle surnommait affectueusement "Son Loup".

Son engouement quant à son compagnon était semblable à celui qu'elle éprouvait pour sa profession. Plus grand même. Son assiduité pour son apprentissage martial en souffrit considérablement. Mais cela ne desservait pas ses objectifs. Au contraire ! Moins présente, Aurorielle redoublait d'ardeur et de concentration dans ses entraînements. "Qu'est-ce que l'amour, sinon une torture lorsque celui-ci n'est pas réciproque ?" avait-elle pour l'habitude de répéter. La réponse, il l'ignorait. Par contre il pouvait affirmer, sans prétention aucune, ce qu'il devenait quand celui-ci était partagé... Une puissante motivation. Bien plus que ne l'avait été la perspective d'une vengeance...

La relation du couple évolua rapidement. Un matin, alors qu'une brume étrange tapissait le sol verdoyant de Teldrassil, Aurorielle avait disparut. Le maître d'arme la chercha des jours durant. Mais en vain... Sa perle rare s'était enfuie, transformée en un souvenir fugace d'un idéal utopique. La raison de ce départ demeurait inconnue, mais il était persuadé que Crileloup y était pour quelque chose. Ne pouvant rien faire de plus, le mentor se résigna à l'attente, le temps que cette dernière daigne lui donner signe de vie.

De nombreuses fois Elune afficha son rond visage avant qu'enfin il ne la retrouve au fin fond de Désolace. Quelque chose avait changé dans le regard de la Guerrière. La fougue s'était estompée, cédant cette place tant convoitée, maîtresse des actes et du devenir de son diamant, à une tristesse maladive qui ternissait les derniers éclats subsistants. "Il est parti..." avait-elle finit par avouer à demi-mot à son Maître...

Avec une douceur qui ne lui était pas familière, l'Ancien l'avait réconfortée de son mieux, la berçant et lui murmurant à l'oreille. "Si celui que tu désires demeure inaccessible, bats-toi pour lui, comme tu en avais l'habitude au par avant..."

- Maître ?

Soudainement tiré de ses pensées par la voix de son apprentie, il était sorti de sa "cachette" affichant un large sourire...

- Excuse-moi... Je ne voulais en aucun cas te déranger ma Fille... J'admirais simplement tes progrès.

Aurorielle afficha un large sourire, rayonnant sous la lumière blafarde du croissant de lune qui éclairait la clairière. Elle s'avança doucement, épongeant quelques gouttes de sueur qui perlait sur son front.

- Et ma démonstration est-elle concluante ?

Après lui avoir donné les conseils d'usage, l'elfe observa un instant de silence, tous deux bercés par le chant des grillons, seuls spectateur de la scène.

- Quelque chose ne va pas Maître ? -s'enquit-elle-

- Tu as récupéré ton Loup n'est-il pas ?

La Guerrière approuva de la tête, un sourire satisfait aux lèvres, cachant avec grand peine l'émoi que cette phrase suscitait en elle. "En effet... Et quel est le problème ?" avait-elle finit par demander.

Comment lui faire part de son désaccord quant à leur union?... Ou plutôt quant aux idées que celui-ci lui avait mises en tête. La détermination d'un Guerrier devait être comme l'acier. Pur mais sans excès. Sinon il viendrait à casser. Mais de là à le rendre imparfait volontairement, il y avait une certaine différence.

- Ma Fille, tu m'as fait part dernièrement de ta désapprobation quant à ta participation sur les champs de bataille occupés par la Horde. Tu n'es pas sans ignorer que cette tâche nous incombe. A nous bien plus qu'aux autres. Cette soudaine vocation pour la paix ne vient pas de ton propre chef...

La Fille de l'Aurore fronça les sourcils. Les mots qui sortaient de la bouche de son mentor étaient teintés d'accusations. Une teinte qui ne lui siait guère. Cil la surnommait "Sa Louve" et ce n'était pas sans raison. Semblable à l'animal, elle savait mordre lorsque l'on s'attaquait à sa famille.

- Vous pensez que Cil guide mes choix ?

Le regard de son interlocuteur répondait par une affirmation silencieuse. Aurorielle sentit sa gorge se nouer et, instinctivement, sa main se resserrer sur le pommeau de son arme. L'animal qui sommeillait en elle grondait mais elle parvenait encore à le calmer... Son Mentor doutait-il de la bienveillance de son aimé ? Ou peut-être n'appréciait-il tout simplement pas qu'il la retire à ses enseignements...

- Aurorielle... Chaque personne a une place sur Azeroth. Celle des Chasseurs est sur les routes, celle d'un Prêtre auprès des blessés et celle d'un guerrier au coeur de la bataille. En refusant cette place, tu renies mon enseignement. Ce que je t'ai offert l'a été pour toi, mais dans le but que tu te serves de ce savoir afin de changer le monde.

La Guerrière sentait la colère monter de concert avec la peine, engloutissant ses beaux yeux sous une rivière de larmes. La rage au ventre, elle fit quelques pas en direction de son mentor.

- Comment osez-vous porter un jugement sur un homme que vous ne connaissez pas ? Comment pouvez-vous avoir si peu foi en moi ? interrogea-t-elle, le visage crispé.

Le maître ne répondit rien, fit quelques pas pour s'éloigner d'Aurorielle, s'arrêta une seconde et lui lança avant de reprendre son chemin :

- Tu reviendras me voir, lorsque tu auras pris conscience de tes erreurs.

Les armes de la guerrière lui échappèrent, tombant au sol dans un bruit sourd. Puis ce fut au tour de ses jambes de lui faire défaut. A genou dans la terre, elle pleurait ce que lui avait coûté la paix et l'amour ; un mentor, un ami, un père. Elle se releva tout en ramassant ses armes et prit le chemin opposé à celui du Guerrier, regagnant Darnassus.

Il sentait bien qu'elle avait un comportement étrange ce soir là. Sa louve, habituellement si fière, si brillante, si séductrice, avait perdu son éclat. Elle marchait d'un pas fatigué très inhabituel et son port de tête n'avait plus le caractère altier qu'elle arbhorrait habituellement et qui la rendait presque hautaine aux yeux de ceux qui ne la connaissaient pas, si désirable dans son regard quand elle s'adressait à lui amoureusement.

Elle était belle, tout simplement.

Mais ce soir elle était terne. Alors il se fit doucement insistant, se donnant comme un devoir de lui offrir les moyens de venir à lui. Sa promise... son amour avant tout... Il serait tout pour elle, et elle devait le savoir et pouvoir compter sur lui. Il ne lui ferait jamais défaut, jamais tant qu'il pourrait l'éviter.

- "Parle-moi ma Louve" lui adressa-t-il tendrement, repoussant quelques mèches de son front. "Dis moi ce qui te préoccupe je t'en prie, tu sais que tu peux tout me dire."

La lumière de ses yeux de mâle se refléta dans ceux de son aimée. Elle avait pour lui un regard doux dans lequel il lisait son envie de se confier sans trop savoir comment le faire. Il prit sur lui de masquer son inquiétude. Combien de fois l'avait-elle rassuré sur le fait qu'il ne devrait jamais se sentir menacé dans leur union ? Mais le traumatisme de sa disparition brutale et de ces mois de vaines recherches était profond et la peur bien ancrée. Il avait peine à en extirper les racines enfouies aux tréfonds de son âme abîmée.

- "Je sais..." fut, dans un premier temps, la seule réponse qu'elle fut capable de fournir. Elle posa ses mains à plat sur le torse de son mâle, puis vient bientôt se blottir toute entière contre lui, cherchant la protection de son étreinte. Enfin, cédant aux assauts de tendresse de son amour, elle laissa filtrer cette vérité qui lui torturait le coeur. Ca n'avait pas à voir avec lui, en ça elle pouvait le rassurer. Mais elle savait, depuis sa disparition, l'angoisse qui serrait le coeur de son promis dès lors qu'elle n'allait pas bien. Toujours il craignait qu'elle disparaisse de nouveau... toujours elle aurait à le rassurer à ce sujet, inlassablement, amoureusement. Elle l'avait dans la peau, marqué sur son corps. Nulle magie ne saurait effacer ça, pas plus qu'elle n'effaçerait les tatouages que lui s'était dessinés et fait dessiner par son maître dans l'art.

- "S'il t'aime, alors il comprendra et laissera de côté son amour-propre qu'il croit froissé. Ne l'abandonne pas, montre lui que tu n'es pas moins assidue et il finira bien par constater que tes talents, s'ils ne sont pas dirigés vers l'ennemi qu'il s'est donné, n'en sont pas moins exploités à fond et très souvent mis à contribution dans des luttes encore bien plus délicates que toutes les escarmouches d'Azeroth. S'il t'aime, ta décision ne l'affectera que temporairement et bien vite ton affection pour lui cicatrisera ce qu'il perçoit aujourd'hui comme un pincement, une déception ou une frustration..."

Elle approuvait par de légers hochements de tête, s'imprégnant de la logique de ses mots, un peu perdue.

"On ira le voir ensemble ma Louve, on lui racontera ce que tu fais et je suis bien certain qu'il comprendra que tes combats n'ont rien de promenades de santé. On lui parlera des élémentaires de foudre, de feu et d'eau qu'on a détruit par dizaine dans les hautes-terres d'Arathi. Ca m'étonnerait que ça le laisse de marbre. Laisse lui juste un peu le temps de faire le deuil de la petite fille que tu étais. Tu es une femme ma louve, tu es ma promise et je t'aime."

Ils craquèrent ensemble. Les larmes d'Aurorielle appelaient les siennes, échos des coeurs amoureux qui vibrent à l'unisson de ce qui les anime. Ils firent l'amour lentement, tendrement, savourant chaque seconde de leurs corps frissonnant d'un désir que les larmes n'auraient jamais su endiguer. Elle avait faim de lui autant qu'il avait envie d'elle et leur appartement fut, une fois encore, l'écrin magnifié de la lumière de leurs âmes unies et de leurs corps enlacés.