Le regard se voila en un seul instant, le sourire se dissipa enlevé par le vent. Une simple étreinte aurait pu alors la réconforter, la réchauffer ou la contraindre à oublier. Il était une fois, cette nuit là, une lune d'une froideur néantique, une lune qui volait l'éclat du soleil, une lune qui absorbait toute chaleur humaine. Cette lune glaciale enrobait de ses rayons un paysage fait de bruine, d'argent et de vent.
Là haut, au dessus d'un vide cataclysmique, des îlots sommeillaient. Ils flottaient, près à faire chavirer les arbres qui s'y étaient ancrés. Quelques fruits lumineux restaient encore accrochés et acceptaient la silhouette en contre-bas qui pensait.
Les mains croisées autour de ses genoux relevés, la tête baissée laissant quelque peu flotter certaines mèches qui refusaient de se laisser apprivoiser, la Prêtresse soupira.
Qu'en était-il alors de ce passage terrifiant qu'était l'Outreterre. Qu'en était-il de ceux qu'elle aimait et qu'elle chérissait même si elle ne le montrait jamais. Elle cru un instant à ce moment de solitude qu'elle s'était créé de toute pièce, coupant le lien avec son futur époux qui attendait sagement qu'elle revienne.
Elle avait donné de son temps, de son sang et de sa force de caractère à ses nouveaux alliés et les Sentinelles le lui rendaient, un peu plus chaque jour. C'étaient bien ces étoiles qui lui firent alors penser aux Tisseurs. Tantôt brillantes, tantôt ternes, elles illuminaient un ciel qui essayait de les enrôler dans les ténèbres. Ces étoiles qui arrivaient à chavirer un coeur nostalgique en moins de temps qu'il n'en faut, ces Tisseurs qui réchauffaient un coeur glacé par leur présence et leurs idéaux de paix.
Elle secoua un instant la tête, ce qu'elle faisait là, elle n'en savait rien. La seule chose qui comptait était ce dégoût, ou encore ce malaise qu'elle ressentait depuis qu'elle avait écrit cette lettre à Crile. Le monde serait-il aussi injuste pour qu'elle ait des obligations ailleurs ce jour là ? La comprendront-ils seulement.. Comment accepter un désistement le jour d'un mariage aussi important.. aussi important..
Son visage rejoignit ses mains, elle n'étouffait pas de sanglots et n'éprouvait pas encore une tristesse assez forte pour l'éffondrer. Elle était toujours absente, loin de ces Tisseurs qu'elle connaissait de moins en moins, plus proche de ses obligations que de ceux qui comptaient.
Chaque membre.. chaque personne qui l'entourait ne la laisser pas une seconde de répis. Et elle l'acceptait, sans broncher, ne refusant jamais d'apporter son aide aussi fluette qu'elle pouvait l'être.
Dans un élan qui semblait bien restreint, elle se releva, l'oeil dans le vide, espérant peut-être un signe qui lui indiquera son avenir. Un avenir loin de ces pensées ? Un avenir loin de ceux qu'elle chérissait ? Et même Lectis s'en sentait délaissé. Il ne le lui avait jamais dit, jamais montré, mais elle le savait.
Comment pouvait-elle faire cette part des choses qui aurait pu satisfaire tout le monde ? " Il faudrait que tu te multiplies " Lui avait dit un ami. " Connaître ses priorités c'est déjà se complaire dans la satisfaction que l'on apporte aux autres. " Lui avait-elle répondu, froidement, comme à son habitude.
Elle murmura sans le vouloir " Les Tisseurs.. Lectis.. Lenwë ma fille.. Ysu mon poulet.. Hino mon amie.. J'aimerais tellement vous voir plus souvent.. "
Elle se savait enchaînée, mauvaise mère, sans doute futur mauvaise épouse, elle se savait enchaînée à des compagnons, à des priorités qui l'éloignaient.. encore.. un peu plus chaque jour.
Pieds nus, elle se dirigea vers son griffon qu'elle caressa d'un geste docile, marque d'affection qui rendait son animal moins craintif au long trajet qui l'attendait. Grimpant sur le dos de celui-ci, elle attrapa un pendentif qui inondait son cou d'une couleur blanchâtre, pulsant aux rythmes de sons. Ses lèvres s'approchèrent de l'objet et elle se mit à murmurer :
" - J'arrive, je finis de me préparer, on en a pour combien de temps ? "
Une voix masculine s'échappa de l'objet, lui répondant alors :
" - Quatre heures tout au plus Thelsian, nous sommes déjà sur place, nous n'attendons plus que toi. "
Sans y répondre elle tira sur la bride du griffon pour le tourner en direction d'immenses bâtiments volants, s'étendant sur une plainde aride et contestée. Il était l'heure une fois encore, de donner de son temps, de son sang et de sa force de caractère à des compagnons qui l'attendaient et qui l'éloignèrent une fois de plus de l'essentiel.