Ordonnatrice des Ombres

Concentration et discipline, tout son esprit se tendait pour maîtriser ces flux émotionnels qui la parcouraient de mille façons et qu'elle se devait de canaliser par l'effet de sa volonté pure. Elle apprenait, jour après jour. Chaque séance se devait d'être un progrès par rapport à la précédente. Elle aurait tellement apprécié d'avoir le support d'une instructrice, d'une personne à qui confier ses doutes, ses difficultés, auprès de qui trouver conseil et encouragement. Mais elles avaient choisi une autre vie.

Dyli était une amour mais elle ignorait tout de son art, tout comme elle ignorait tout elle-même de la subtilité de la saisie d'une hallebarde ou de la frappe au sabre. Elle se contentait d'observer, admirative, les progrès de son élue, tout comme son élue l'encourageait en retour et s'évertuait à lui fournir l'environnement propice à ses études. De fait, elle progressait, mais elle avait l'impression que c'était à pas de fourmi.

Isolder lui avait fichu un coup au moral quand, avec une facilité déconcertante, il avait fait apparaitre devant ses yeux de petits oiseaux de fumée. Les Ombres se travaillaient, elle le savait pour l'avoir lu dans des grimoires anciens réservés aux plus avancées des prêtresses. Alors, jour après jour, elle apprenait à canaliser ses émotions, quitte à en réfréner une part de sa spontanéité, plus tard en sachant l'exploiter si elle ne la perdait pas entretemps.

Jamais elle ne se retiendrait de sourire à la vue de son aimée qui s'avance, ne contiendrait sa joie en apprenant les choses heureuses que la vie réserve. Mais elle se devait de savoir reconnaître, détacher et canaliser ces flux pour que, dans l'ombre, sa volonté se fasse énergie et que cette énergie devienne puissance.

Elle avait commencé par des volutes, des frisottis dont elle dirigeait la forme. Elle avait appris le cérémoniel qui rendait possible le détachement des émotions. Possible seulement, pas acquis pour autant. Elle le mettait en place dans les petits gestes du quotidien. Ses bouquets gagnaient en sobriété mais aussi en esthétisme. Les odeurs dont elle se plaisait à parfumer leur appartement étaient moins capiteuses, plus légères, plus subtiles. Son aimée semblait s'en satisfaire et voir d'un oeil approbateur ces multiples petites transformations du quotidien. La jeune prêtresse tenait bien sa maison et en faisait une vitrine de son âme : un esprit sain dans un corps sain. Et les ombres, dès lors pouvaient devenir outil malléable et façonnable. Le risque de se faire entrainer et ronger par elles devenait presque nul. Jamais absent toutefois. Mais leur amour était le garde-fou indispensable de ses études solitaires autant qu'exigeantes.

Son aimée avait été guérie de son mal. Progresser dans la voie des ombres et explorer de nouveaux domaines obscurs de la pensée devenait possible sans risquer de se perdre dans les méandres de noirceurs angoissées nourries de l'anxiété et du stress du quotidien. Dyli était sa bouée, son ancrage. Elle ne pouvait risquer de la perdre et la savoir à ses côtés rendait tant de choses possibles. Elle lui fournissait l'ambiance calme, protégée et chaleureuse dont elle avait besoin. Elle était son phare, sa référence, sa lumière dans la nuit et l'Elue de son coeur. Elle l'aimait de toute son âme.

Bientôt elles s'uniraient devant Elune.

Mais l'heure était à la concentration. Ces pensées se détachèrent comme une bulle, rejoignant un flot qui lentement se tarissait tandis qu'elle parvenait à un plus haut niveau de conscience, un plus haut degré de cette énergie toujours plus pure dont elle dirigeait le flux avec une finesse et une acuité accrues. L'Ombrefiel, bientôt, se soumettrait. Elle le ressentait près d'elle de plus en plus distinctement.