Ca remonte... mais ça prend du temps.

- "Bonjour l'ami" lança le barde en saisissant au vol une balle du petit jongleur. "Comment vont tes affaires ?"

La fragile chorégraphie des mains du lanceur en fut déstabilisée et bientôt toutes les balles s'égayèrent dans l'herbe et sur les pavés délicatement encore chauds malgré l'ombre du donjon. Echeyakee en ramassa une, puis deux de ses pattes bandées. Son maître en attrapa une autre encore et le forain récupéra les deux dernières avec une mine déconfite.

- "Ca va." répondit l'intéressé, laconique.
- "Allez, boude pas, j'ai un petit service à te demander. Et tu sais que je paye bien ce genre de choses."
- "Ouais, pas faux."
- "Je te paye une bière ? On va discuter de tout ça tranquillement ?"

Ils se retrouvèrent chez Helbrek et ce n'est pas un hasard s'ils s'installèrent au beau milieu de groupes de voyageurs passablement bruyants qui leur assuraient une relative confidentialité et justifiaient qu'ils se parlent d'assez près pour être bien entendus l'un de l'autre.

- "Krateous."

A ce mot le jongleur se redressa et regarda le barde comme s'il n'avait pas compris ce qu'il lui disait. CrileLoup confirma d'un hochement de tête avant de poursuivre.

"Krateous. C'est le nom d'un homme, ou d'une entité. Probablement un Réprouvé aujourd'hui, mais je voudrais en savoir plus. Tu pourrais me renseigner ?"
- "Ca dépend..."
- "Ca sera bien payé, on se fait confiance non ?"
- "Y'a des cas où la confiance... ça tue."
- "Je te paierai en écrivant ton épitaphe alors ?" s'amusa le barde un court instant.
- "J'suis mort de rire... Allez aboule. J'en prends cinquante tout de suite et cinquante à la réponse. Non remboursable."
- "Non remboursable... comme si je devais te faire confiance ? Mais... ça tue ça non ?" rétorqua le barde malicieusement.

Le petit jongleur se contenta d'empocher les trentes pièces d'argent, pas dupe de la somme mais arbhorrant tout de même un air satisfait.

- "Ca tue les faibles seulement. Merci pour la binouze. Laisse moi une bonne décade, faut que je contacte le vieux du Moulin."

Il n'en dit pas plus, mais sachant que la route du menestrel l'emmenait fréquemment à Austrivage en passant par les terres et notamment le viaduc de Thangol et la citadelle de Stromgarde, il imaginait bien que le moulin était celui de Tarren. Mais il se garda d'en apprendre plus. Le secret en l'espèce était une garantie et partie intégrante du marché.

Il lui restait à voir ceux de Brill, notamment la petite humaine réprouvée qui l'avait aidé dans l'affaire de la disparition de la fillette recherchée par la Mortelle Onction. Il allait en parler à sa Lune. Ils iraient ensemble, ça leur ferait une petite sortie.

Et comme les Sindorei - à ce qu'on disait - avaient jeté leur dévolu sur les humains réprouvés à qui ils trouvaient soudain toutes les qualités du monde, il ferait peut-être bien aussi d'écrire à Silwenne qui aurait certainement des facilités pour obtenir quelques bribes d'informations.

Il avait pu voir Méssa. Elle avait déjà contacté Silwenne. L'initiative était donc inutile. Il laissa toute de même agir le jeune artiste de rue. Ces gens là savent parfois des choses qui échappent à bien des oreilles pourtant attentives. Et puis il écrivit à Anarthos et Azyï :

Citation :

Anarthos, Azyï,

Je fais appel à vous car nous recherchons des informations concernant un dénommé Krateous. Il est probable qu'il s'agisse d'un humain dont le fléau aurait pu faire un réprouvé. Ne prenez aucun risque inutile, nous cherchons juste à savoir qui il est et ce qu'il est. Une simple localisation serait déjà une avancée.

Soyez prudents.

Que la Trame vous protège.

CrileLoup (& Aénor pas loin derrière)
Tisseurs de Paix

<hrp>
Contactez Isolder par MP, ou écrivez un petit post résumant comment vous menez vos recherches de sorte qu'il puisse vous fournir des réponses sur ce personnage, c'est lui le MJ
</hrp>

Penché avec son coupe-carres sur la large pièce de cuir étalée sur la table de travail, le barde avait une mine concentrée. Concentrée et sombre...

Toujours rien. Le camelot avait fait le voyage sans apporter aucune information. Par respect pour le contrat le barde avait tout de même completé la somme restant due mais il devrait lui-même faire jouer ses contacts avec la Horde. Il gardait un peu d'espoir en Azyï et Anarthos, faible mais réel. C'était en tous cas le plus sérieux.

En d'autres temps il aurait porté sa requête à l'assemblée des diplomates mais les couloirs qui grouillaient autrefois de vie étaient envahis par toutes sortes de moisissures et de bestioles et plus rien n'était faisable de ce côté. Il s'en doutait d'avance mais une rapide visite dans les locaux envahis de ronces avait achevé de le persuader.

Isolder lui en voulait, Méssa pareillement. Et pourquoi ? Il n'aurait su le dire précisément mais il lui semblait que pour eux il n'en faisait pas encore assez. Méssa lui avait jeté ironiquement à la tête un "reste dans l'ombre" qui lui avait fait mal à entendre. Il dévouait sa vie à ses Tisseurs. C'était même parfois cause de conflit dans son couple. Et la petite Draeneï se permettait de le juger ? Mais pour qui se prenait elle ? Il n'aurait su être affirmatif mais pour ce qu'il en avait perçu, le début de l'hostilité remontait au moment où il avait déconseillé à son élue de toucher à la blessure d'Isolder : une lèpre.

Aelwenn, soit disant, l'avait déjà soignée, ou du moins veillé à ce que la blessure ne s'infecte pas, reste propre et demeure non contagieuse. Il n'avait pas confiance. Méssa elle-même parlait de maladie magique et prenait le risque de continuer à vivre au contact de son aimé... mais Aénor et lui avaient payé pour savoir ce qu'il en coûtait de négliger un soin. Ils l'avaient payé très cher, plus que le prix du sang. Alors les leçons de morale de la petite Draenei faisaient plus qu'être impertinentes : elles le plongeaient dans une colère sourde. Qu'elle prenne tous les risques qu'elle veut, mais qu'elle n'oblige personne à en faire autant. Et Aénor pourtant avait accepté de prodiguer ses soins. Jamais elle n'avait refusé, assumant son sacerdoce avec une abnégation qui lui valait l'admiration de tous, et toujours il avait respecté cet engagement chez son élue. Pour une mise en garde d'évidence la Draeneï partait sur ses grands chevaux et se permettait de remettre en cause son engagement ? leur engagement ?

Il n'empêche qu'ils se rendirent immédiatement au puits de Lune de Darnassus pour se purifier. Hors de question de risquer un second malheur. Ils ne s'en remettraient sans doute pas. Ils rentrèrent ensuite chez eux, dans leur nouvelle demeure, et entamèrent des démarches pour s'en rendre propriétaires... mais le coeur n'y était plus. La soirée était gâchée et ils n'avaient même pas pensé à leur parler des retrouvailles avec la petite Soez...

Il sentait les nuages de la mélancolie tournoyer au-dessus de leurs têtes. Il était las, fatigué de ces épreuves. Il n'aspirait qu'au repos avec son élue et qu'on les laisse tranquilles par Elune... qu'on les laisse tranquilles... avant qu'il ne soit trop tard.

D'un tracé de craie il délimita une nouvelle coupe, l'affina, et bientôt une nouvelle chute s'écrasa entre les pattes de Galisha.

Il avait pressé doucement son élue dans ses bras pour tâcher de favoriser un sommeil qu'elle n'avait pas trouvé, une fois de plus. Il ramassa la pièce de cuir et s'efforça à repenser à la gnomette, si enjouée, si gaie, si dynamique. Sur la foi de rumeurs étranges ils avaient risqué de s'aventurer dans des terres inconnues, sauvages et même franchement hostiles. La faune et la flore s'associaient pour rendre la survie délicate mais ce dont ils avaient entendu parler semblait valoir le risque : Bravant les dangers ils étaient parvenus jusqu'à une sorte de village étrange fait de bric et de broc sifflant, fumant et grinçant... et retrouvèrent celle qu'ils cherchait : Soez, leur miss Boulonne qu'ils appréciaient tant ! Elle avait perdu son identité et sa mémoire dans des circonstances qui demeuraient opaques mais n'avait pas égaré ce qui faisait son charme : son caractère rieur, accueillant et généreux. Elle semblait avoir retrouvé une forme de sérénité et avait même accepté sans sourciller de s'installer dans ses jambes là où autrefois elle aurait eu toutes les peines du monde à s'y faire. Dommage, il avait espéré un espèce de choc mnésique.

Avec une certaine appréhension ils avaient envisagé le trajet retour. Tiens... si Méssa avait été là... pour voir ceux qui ne prennent aucun risque pour leurs amis...

Il haussa les épaules avec le même air sombre avant de reprendre son ouvrage : une paire de bottes de grande qualité confectionnées avec des peaux et des cuirs qu'ils avaient pu récupérer tout en effectuant divers travaux qui pour Shattrath, qui pour le cercle cénarien ou pour les Draenei du marécage de Zangar. Il la destinait à son alliée, Nénir. Aénor et lui appréciaient les moments passés en compagnie de la chasseuse et de sa Vyedr. Méssa, comme Isolder, ne portaient pas de cuir. Tant mieux.

Aénor avait retiré fil et cristal. C'était peut-être une bonne chose. Prendre un peu de repos, de recul, vivre un peu pour eux. Ils avaient gâché l'annonce de Nhiouashar qui était tellement heureuse de les prendre à témoin de son bonheur.

Cette pensée lui arracha un sourire.

Elle avait hésité.
Une fraction de seconde.
Elle était prêtresse. C'était son devoir. Peu importe les blessures ou les maladies. Peu importe qu'il s'agisse d'un inconnu ou d'un ami.
Alors, elle s'était approché, avait pris la main dans les siennes et doucement avait regardé la blessure, scruté la moindre couleur, le plus petit point purulent. Elle prodigua ses conseils, chercha dans ses enseignements ce qui pourrait non pas guérir, ça elle savait qu'elle ne pouvait pas mais soulager, et ralentir la progression du mal.
Aelwenn avait utilisé une perle. C'était un bon début. Mais la perle perdait de son éclat à une rapidité affolante. Elle ne se souvenait pas avoir déjà vu cela. Il faudrait la remplacer tous les deux jours. Et les perles dorées étaient rares. Bien trop rares. Et le mal violent. Bien trop violent.

Son Loup avait eu un mouvement de recul quand elle s'était approchée pour voir la blessure. Son aimé avait eu une réaction primaire, de survie.. un instinct de Loup. Mais qui pourrait le blâmer ? Lui jeter la première pierre ? Mais qui était Isolder pour juger ce geste ? Si la situation avait été inversée, n'aurait-il pas eu le même réflexe pour son aimée ? Avait-il perdu un enfant à cause d'un mal sournois ? Pouvait-il, ne serait-ce qu'imaginer, comprendre leurs réticences ?
Il était sans doute rempli de peur, de craintes pour lui, son aimée. Mais était-ce là une raison pour repousser ceux qui étaient venus ?
Toujours ils avaient répondu présents. Dans les bons moments comme dans ceux bien plus cruels. Et celui ci en était un. Ils n'avaient jamais abandonné un ami, encore moins quand il s'agissait de leurs amis les plus proches. Ils pouvaient compter sur eux. Quelque soit l'heure ou le jour, quelque soit l'endroit. Tous le savaient et c'était largement réciproque. C'était bien là la force de leur Trame. De leur amitié.

Pourtant... Il lui avait tourné le dos. Elle l'avait supplié de rester et il avait tourné le dos.
Pour la première fois.
Ils avaient vécu tant de choses. Des bonheurs, des difficultés. Traversé des déserts et des vallées luxuriantes. Il était celui qui comptait le plus pour elle après son Loup. Et elle n'avait compté pour rien. Dans un battement d'ailes, il était parti.
Et pour la première fois, il l'avait rejetée.

Elle se sentait en colère.
Déçue.
Blessée.
Trahie…

Elle avait écouté Méssa lui parler, mais ses mots traversaient son esprit dans du brouillard.
Elle était restée pour Méssa. Pour lui prodiguer les derniers conseils, quelques réconforts. Mais quand elle avait entendu le ton narquois d'Isolder sur le Fil, cela avait été la goutte de trop. D'un geste tremblant, elle avait retiré Fil et Cristal.

En quittant la magicienne, son Loup avait voulu lui prendre la main, elle s'était reculée. A son tour. Pas avant de s'être purifiée. Elle était prêtresse. Elle courrait ce risque. Pas lui. Jamais. Elle lut dans ses yeux son interrogation, sa souffrance à ce simple petit geste. Elle aurait voulu le serrer contre elle, étreindre sa main dans la sienne, chercher le réconfort de ses bras, d'un baiser. Mais elle ne pouvait pas. Pas encore. Mais ils se connaissaient trop bien et quand il croisa son regard voilé de larmes, il comprit. Il comprit sa douleur et ses inquiétudes et ils se mirent en route rapidement pour la cité elfique.

"Quand parviendrons-nous enfin à trouver le repos de nos coeurs, de nos âmes, de nos esprits.. ? Ô Elune, déesse de paix et d'amour... Pourquoi te montres-tu si cruelle ? Pourquoi exiger de nous tant de sacrifices ? " Plongée dans le Puits de Lune du grand Temple, sous l'oeil bienveillant de Lariia et sous celui bien plus inquiet de son aimé, elle priait et interrogeait la Déesse tout en se prêtant au rituel de purification. Bientôt, ses mains semblèrent diffuser une lueur bleutée et l'eau se troubla légèrement. La lueur s'amplifia, s'assombrit puis brusquement s'évanouit. Le rituel était accompli. En tout cas, pour ce que la magie du Puits pouvait faire.

En sortant du Temple de Darnassus, elle se dirigea vers l'échoppe d'Alaindia pour acheter des baies. Elles étaient recommandées pour faire une décoction légèrement somnifère. Ils en auraient besoin. Tous les deux.
Elle écrivit une lettre rapide à Méssa pour accompagner le colis et ne put s'empêcher de lui parler de la purification du Puits de Lune. Et elle savait la Draeneï suffisamment intelligente pour comprendre ce geste de précaution. Elle l'espérait du moins.

C'est tristement et silencieusement qu'ils rentrèrent à Sylvanaar. Elle ne se sentait chez elle nulle part et n'eut pas la force d'entamer les négociations pour la maison qu'ils avaient visitée auprès de Kialon Lamenuit. Elle laissa son aimé prendre une chambre à l'auberge et ils se couchèrent rapidement. La cité était calme. Et pour la première fois, elle regretta presque le grouillement incessant de Hurlevent. Cela aurait masqué les battements de son coeur meurtri, les bruits de sa respiration douloureuse, le tic tac sourd de l'horloge... Elle essaya de trouver le sommeil blottie dans les bras protecteurs de son aimé… Essaya… Priant Elune sans relâche pour le repos de leurs coeurs meurtris et la guérison de leur ami... son ami.

Loin de se douter de l'ambiance générale de la Trame, Jaylini recevait des nouvelles intéressantes de Fossoyeuse.

Un informateur a écrit:

Notre oiseau chante en fa dièse. Il n'aime pas nidifier mais recherche la chaleur des cuisines.

- "Il vaut définitivement mieux que Méssa se tienne loin de ces personnages..." se dit la métisse.

Kratéous...

Avec un effort le barde prit son sac et ses armes. Il fallait qu'il se rende à Austrivage. Malgré les mots blessants, malgré les regards et le mépris... ils avaient plus en commun que ça... du moins il l'espérait.

- "Je vais chercher des informations pour Isolder... si je trouve." lança-t-il à sa Lune encore ensommeillée avant de l'embrasser délicatement.
- "Tu reviens vite ?"
- "Oui ma Lune, juste une rencontre sans souci et je rentre."
- "Fais vite, tu me manques."

Sans un mot il saisit le fil soigneusement rangé et le renoua au poignet de son aimée qui résista mollement un instant avant que, mieux réveillée, elle ne comprenne que ça serait surtout une sécurité mais qu'il ne lui demandait pas de parler.

- "Loup... je n'ai pas envie de..."
- "... de l'entendre, je sais. Considère ça comme un lien le temps que je revienne." répondit-il d'une voix douce.

Elle se rangea à son argument et accepta son geste.

Du bout des doigts il lui envoya un nouveau baiser avant de s'engager dans l'escalier. Elle avait mal réagi au nom du démoniste. La blessure était profonde.

Il pensait, bien trop. On aurait pu dire, plus objectivement, qu'il ressassait. Ses pensées se projettaient dans les trames du futur, cherchant à entrevoir l'issue de toute cette histoire, d'en mesurer l'impact sur la Trame pour mieux le minimiser. Sortir de la Trame pour en conserver l'intégrité et la bonne ambiance qui soudait ses membres ? C'était une éventualité qu'il n'excluait pas. Il l'avait déjà vécue et le referait si c'était le prix à payer. La Trame était bien plus importante que lui, qu'eux deux même. Il savait qu'Aénor ne s'exprimerait pas hors d'une urgence et dès qu'il serait de retour il lui proposerait de s'en passer pour quelques temps, le temps que tout s'apaise et qu'ils se consacrent un peu à eux seuls.

Ils avaient traversé une douloureuse épreuve. Il voyait celle-ci comme une sorte de séquelle.

Arrivé à Auberdine il invoqua son tigre et se hâta de rallier le Moulin-de-Tarren. Le vieux Tauren était là et reconnut Echeyakee. Par chance il était seul. Pourtant à cette heure de la journée il était souvent en compagnie de ses étudiants. Il s'empara de sa canne avant de s'éloigner du banc de pierre qui on aurait dit qu'il avait la forme de ses fesses tant il y passait de temps.

- "La Paix sur toi barde des Tisseurs."
- "Que la Nature te soit favorable vieil Oldrenn Longue-Vue. Où sont donc tes protégés ?"
- "Partis cueillir les baies sacrées, ne te soucie pas de leur hostilité. Ils ne nous trouverons dans ce bosquet que si je le veux bien."
- "Merci vieux sage. Je... j'ai besoin d'un renseignement, pour sauver un ami."

Se penchant sur Echeyakee, le druide croisa son regard un instant, ne s'adressant qu'à lui.

- "Alors vieux roi des Tarides ? Ton maître est-il à ton goût ?"

Une lueur orangée brilla dans le regard du lion tandis qu'une étrange harmonie s'installait entre les deux. Ils se parlaient, le barde n'en doutait pas. Puis, dans un craquement osseux, le Tauren se redressa enfin. Il fouilla un instant dans une vieille gibecière craquelée et en sortit un flacon de substance verdâtre, une sorte de poudre.

- "Pour ses pattes." commenta le vieux druide en glissant le flacon dans la main du barde qui resta un instant étonné avant d'emboîter le pas au Tauren qui s'éloignait.

Ils ne firent que quelques pas qui les amenèrent au banc de pierres, à côté d'une margelle récemment restaurée.

- "L'Alliance, trop souvent, vient ici sans esprit de paix."

D'un doigt épais le Tauren souligna des traces de brûlures sur les vieilles pierres. C'était un fait avéré. L'Alliance harcelait la Horde sans relâche. Les conflits étaient enracinés dans des siècles d'Histoire alambiquée que seul un vent de concorde pouvait souffler comme une bougie usée pour faire table rase de ces spirales de violence.

- "Je cherche un dénommé Krateous vieux sage. Il est une menace pour... un de mes amis. Tout ceci n'a que trop duré. Guide moi je t'en prie."

Le Tauren plissa les yeux, plongea dans le regard et l'âme du barde.

- "Tu as du ressentiment, je le perçois."

Il laissa un instant le Kaldoreï à ses réflexions pour actionner la manivelle grinçante et récupérer de l'eau du puits. Puis, s'emparant d'un grand plat de bronze glissé sous le banc, il y versa le contenu du seau. L'eau s'écoula sur les runes qui bosselaient le métal sur tout son pourtour.

"N'est-ce pas ?" insista-t-il sur un ton doux.
- "C'est exact. C'est une incompréhension, ne t'inquiète pas de ça, ça ne nuit pas à la mission."

Le Tauren regarde une fois encore le barde qui soutint son regard. Puis, avec une expression triste, il posa le seau sur le bord du puits, saisit le plat divinatoire à deux mains et en renversa le contenu dans un buisson proche. Enfin, sans un mot de plus, il revient s'asseoir à côté du barde médusé.

- "Tu connais mon prix." se contenta de commenter le vieux sage.

Ils restèrent ainsi, assis et silencieux pendant de longues minutes. Le Tauren à la crinière grisonnante regardait l'horizon montagneux de ses petits yeux aux reflets étoilés. On y devinait un début de cataracte mais sa vue était encore bien claire, bien trop. Il lisait dans les esprits comme dans un livre ouvert.

"Tu devrais partir maintenant. Mes petits élèves ne tarderont pas à revenir, ce qui nous attirerait des ennuis à tous deux."

Oui. Oui il connaissait le prix. On ne récolte rien sur un arbre mort. Il prendrait sur lui, rangeant son égo pour repriser ce qui devait l'être. Après seulement il aurait des réponses, peut-être.

D'un geste machinal il laissa son doigt courir sur les runes de sa pierre de foyer. Une respiration plus tard il était auprès de sa Lune. Avec un sourire ensommeillé et sans même ouvrir les yeux elle s'approcha de lui et lui retira son Fil. Il ne résista pas. Chaque chose en son temps.

Une claque.

A la réflexion c'était bien ça, il n'y avait pas à s'y tromper. Le vieux Tauren aurait voulu le gifler comme un gamin capricieux qu'il ne s'y serait pas pris autrement.

Trop d'égo, trop d'idéal, trop de présence. Le barde voulait-il façonner le monde à son image ? Voulait-il être le maître de la Trame envers et contre ce qu'il affirmait haut et fort comme pour mieux s'en convaincre lui-même ?

Une lumière.

Toi qui t'es éveillé au cri du loup... ne trahis pas ta mission... Je t'ai donné des dons, je t'ai donné une vie, tu as même retrouvé une soeur que tu as tant appelé de tes voeux... ne gâche pas tout...

Une ombre.

... et viens... viens j'ai envie de TOI !



Il se redressa, couvert d'une fine couche de sueur. Son aimée dormait d'un sommeil suffisamment léger pour s'en trouver presque éveillée elle-même. Il s'efforça de calmer sa respiration emballée. Les branches flottaient doucement au gré du vent dans un air doux pour la saison. Tout était calme. Il restait sous le coup de cette voix grave et puissante qui était devenue hystérique subitement.

Il perçut un sifflement discret sur le palier : Jaylini ?

Comment avaient-ils pu tous en arriver là ?
La tension, la fatigue et les malheurs les guettaient tous, sans exception.
Méssa était mal, ce n’était pas difficile de le comprendre.
Apres plus de 48 heures sans sommeil elle était à cran. Elle avait passé la soirée et la nuit à chercher dans les grimoires de la tour des mages des informations pour sauver son aimé, son promis, son futur. Le seul homme a qui elle avait ouvert son cœur comme jamais.
La lèpre... Une lèpre magique... Cela faisait des semaines qu’il était atteint de cela sans le savoir. Mais à présent il en avait connaissance.

Elle avait même osé se présenter ce soir là devant Mor’Zul pour lui demander conseil, pour le supplier de l’aider, de le sauver... Avant même d'avoir pu obtenir la moindre information, elle était tombée inconsciente face à la table de travail du démoniste, tirant sans aucun doute des mots peu prononçables de sa bouche elle n’en doutait pas.

Isolder avait été prévenu, il avait sans doute eut le droit à un sermon de son maître de remplacement mais il avait recueilli sa tendre dans ses bras et l’avait ramenée chez eux.

Vers qui se tourner à présent ? Que faire ? En parler aux Tisseurs ? Il était temps apparemment. Il fallait prévenir Cril et Aénor ils sauraient peut-être quoi faire.

Ce n’était peut-être pas le moment finalement, l’annonce ne s’était pas faite dans les meilleures conditions, Isolder rongé par la peur et l’angoisse et elle tendue, épuisée, ressentant la même peur que son amour. Celle de le perdre, lui de mourir…

Elle avait eu besoin de soutien, de compréhension, Isolder encore plus, et quand Cril avait presque crié en disant à sa douce de ne pas le toucher alors que quelques minutes auparavant ils avaient annoncé que ce n’était pas contagieux, elle avait craqué. Elle avait laissé son angoisse parler.

Eux aussi à présent avaient peur, pour lui mais aussi de lui c’est ainsi qu’elle le ressentait et elle avait été blessée. Jamais ni elle ni Isolder les auraient approchés s’ils avaient su que cela aurait pu les toucher… Jamais Isolder n’avait mis la vie des Tisseurs en danger, bien au contraire. Cette lèpre était même la preuve d’une certaine façon de son dévouement envers son prochain.

Quand quelques minutes après il avait annoncé « qu’ils étaient étrangers à cette affaire et qu’ils souhaitaient le rester » quand Aénor avait proposé d’aller voir la Troll qui avait maudit Isolder de cette maladie, cette fois-ci aussi elle s’était emportée, son cœur battant la chamade avec l’envie de hurler sa douleur.

Elle avait eu, elle aussi, une phrase qui avait touché le barde. Inconsciemment elle était contente, elle l’avait fait réagir, lui faisant comprendre peut-être par ce moyen un peu bas qu’Isolder allait mourir si personne ne faisait rien.

Comment leur dire après toutes les phrases déplacées du Loup qu’elle savait comment résorber cette maladie... la diluer... Aénor lui avait demandé comment elle devait faire ça. Mais elle sentait cette peur naître en eux... Comment leur annoncer qu’il fallait par un moyen qu’elle ne connaissait pas encore donner cette maladie à un nombre suffisant de personnes pour que la lèpre soit facilement soignée par un guérisseur ?

Plus les minutes passaient plus l’épuisement brouillait ses pensées. Elles les considéraient presque comme leur dernier espoir et celui-ci semblait s’écouler tel le sable dans un sablier tout comme le temps était compté pour son fiancé.

Ils s’étaient expliqués sur le pont, tous trois exposant leur point de vue. Elle ne s’était pas excusée directement certes de ses mots mais elle l’avait fait par un moyen détourné. Isolder avait préféré quitter les lieux sentant son chagrin incontrôlable. Méssa pensait que les choses étaient apaisées quand elle les avait salué en leur disant de faire très attention à eux et que jamais au grand jamais elle ne les forcerait à faire une chose qu’ils ne veulent pas et qu’elle serait toujours présente si l’un d’eux en avait besoin.

Elle avait retrouvé son aimé. A peine quelques secondes et il explosa en sanglots entre ses bras, laissant son chagrin, sa fatigue, sa peur prendre le dessus et secouer son corps de sanglots. Elle se sentait désemparée, touchée par cet homme qui pour la première fois se montrait fragile et vulnérable.

Elle ne désirait plus qu’une chose : que tout revienne à la normale.

Les sens aiguisés par ce réveil brutal, Crileloup sortit du bâtiment et scruta les alentours.

Il avait une conscience très nette d'un danger qu'il courait, même si sa raison endormie lui chuchottait qu'il n'avait rien à craindre.

Il tressaillit pourtant lorsqu'une forme sombre se déplia dans la verdure, face à lui. Mais cette ombre-là avait les cheveux foncés, et les yeux qui le regardaient avec ce qui ressemblait à de la tendresse (difficile à dire d'ici) étaient couleur de lune, et non de sang.
Lorsque sa chevelure de nuit coula de sa capuche en boucles légères et que ses oreilles pointèrent vers le ciel, libérées de leur gange de tissu, il reconnut sa complice Jaylini.

Quel doux spectacle que cette elfe, ni kaldorei ni quel'dorei, qui s'avançait vers lui, comparé à la terreur de son cauchemar ! Elle était soie, se déplaçant dans son élément : la nuit, comme le jour appartient aux hommes.

Elle sortit en souriant quelque chose de sous sa cape et fit mine de lui lancer une dague.

- "Tu devrais faire attention, Crile. Si j'arrive à te méduser, je peux aussi te tuer." dit-elle dans un sourire, laissant ses crocs briller à la Lune.

- "J'ai des nouvelles sur Krateous. Pas grand chose hélas, mais c'est mieux que rien : c'est un mage, un mage spécialisé dans le feu. Il n'a jamais fait partie de l'armée. Par contre, et cela c'est mauvais, il fréquente les cercles de l'Apothicarium, les chercheurs de Sylv... de la reine banshee..."

- "Je ne suis pas médusé mousmé. Je sais reconnaître une jolie femme et l'admirer quand je la vois. Et ton odeur est reconnaissable à trente pas." sourit le barde, amusé.

Du coin de l'oeil il s'assura d'être suffisamment proche de la fenêtre pour qu'Aénor puisse entendre leur conversation.

"C'est finement joué. Je n'ai rien pu obtenir pour ma part. Mes contacts sont muets pour l'instant. Je pensais aller voir Terrycia... mais Aénor n'a plus vraiment coeur à la rencontrer, ce que je ne peux que comprendre."

"Sinon tu... tu savais qu'Isolder a contracté une peste ?"

Et pendant ce temps là...

une petit boule de poils ronronnante saisit l'occasion pour s'engoufrer sous les draps, tourna plusieurs fois sur elle-même et finit par se coucher, collée tout contre sa maitresse endormie... qui ne bougea même pas une oreille...

- "Méssa m'en a parlé à demi-mot... Elle voulait surtout une introduction auprès de gens qui pourraient la renseigner. Elle cherche à remonter jusqu'au maître d'isolder, un dénommé Sutter Caine. Une sorte de démoniste. Il inspire pas mal de frayeur, apparement."

- "Je crois que sa maladie est sans rapport avec son maître, sa malédiction et tout ça... ce que je n'avais pas compris au départ d'ailleurs. Là ça serait plutôt dû à un contrat étrange passé avec une Trollesse."

Le barde soupire un peu et invite Jaylini à venir discuter à voix basse sur le palier devant la porte de la chambre conjuguale.

"Je te raconte ce que j'en sais : L'histoire prend sa source il y a quelques mois, quand on a voulu sortir Nedylene de Fossoyeuse. Elle s'était fourrée dans de sales draps en agissant pour le compte d'une petite humaine qui, je crois, cherchait des informations sur sa famille ou quelque chose de ce genre."

"Parmi tout ce qu'on a pu tenter pour la sortir de là, on a contacté une Trollesse qui a proposé de nous aider mais c'est très obscur. Cette Trollesse semblait parler à son loup. Elle exigeait l'âme de la soeur de Nedy, Dylinrae, en échange de la libération. Bon, il y a donc bien deux sujets distincts. Je commençais à avoir des doutes."

"Pour conclure le marché, Isolder a accepté une morsure du loup. Et là... je ne sais pas ce qui a pu se passer mais.... il semblerait que la Trollesse cherche à faire respecter le pacte par ce moyen machiavélique."

- "Mmh.

Et Dylinrae et Nedylene, qu'en disent-elles ? Après tout, ce sont elles qui ont fichu Isolder dans ces sales draps. Comptent-elles assumer ? Ou laisser Isolder mourir pour leur sauver la peau ?"

Et pendant ce temps-là...

Une respiration régulière juste trahie par un drap qui se soulève lentement...
Et un léger ronronnement...
Tout dort... tout est calme...

- "Je n'en sais trop rien mais ne les accable pas mousmé. D'après ce que m'en dit Aelwenn, Dyli aurait été "libérée" de l'influence de la Trollesse mais tu sais moi... ces histoire de possession et d'envoutement... plus j'en suis loin et mieux je me porte Je pense qu'Isolder n'y est pas pour rien dans cette "libération" là, sans doute raison pour laquelle il se prend un contrecoup magique probablement. Mais ce ne sont que des supputations. Concernant Nedy... je dois la voir prochainement."

- "Et pendant ce temps-là, le temps tourne pour Isolder. Nedylene aurait dû se renseigner avant. Enfin, c'est trop tard maintenant... Nous ne pouvons qu'éponger. Donc, aucun rapport entre Sutter Caine et cette lèpre..."

Jaylini fit une petite moue de ses lèvres prunes.

- "J'ai du mal à suivre..."

- "Ne négligeons pas la possibilité. Et je n'oublie pas non plus que si c'est Mahel qui a découvert Nedy désorientée, affamée et blessée dans les égouts, c'est faute d'avoir pu m'y rendre moi-même car on soupçonnait un traquenard dont j'aurais pu être la cible. Tout ceci pourrait être lié. A voir. Restons vigilants."

Il plisse les yeux un instant, songeur.

"Ca fait un long moment qu'on n'a plus croisé Leneïa..."

- "C'est vrai. D'ailleurs, à ce titre, tu es toujours vivant."

La furtive pouffa doucement pour ne pas réveiller la prêtresse endormie.

Et pendant ce temps...

Une oreille pointue frémit au son étouffé qui provenait de l'extérieur, troublant la tranquillité de la pièce..
Un oeil s'ouvrit... puis un second.
La forme se glissa hors des draps et à pas lents, se dirigea vers la fenêtre....

Sans relever la taquinerie de sa complice, CrileLoup tente d'établir un début de plan d'action.

- "Bon... Parlons concrètement."

"Je crois que Méssa possède des informations intéressantes sur une histoire de dissolution de la maladie en la propageant à d'autres. Nhiou a immédiatement eu la même pensée que moi : on va acheter un petit troupeau de chèvres, faire ce qu'il y a à faire, les soigner - il parait que ça sera facile et Aénor nous le confirmera - et le revendre. Comme ça on sera débarrassés de cette peste. Reste l'histoire de malédiction et de Krateous ou Caine... et là j'avoue que je ne me sens pas compétent."

"Ce soir on risque d'être occupés. Nhiouashar a demandé à nous voir et déjà la dernière fois elle a été chassée par les circonstances. Je ne voudrais pas qu'elle s'imagine qu'on la néglige ou qu'on ne s'intéresse pas à ce qu'elle peut avoir à nous dire."

Puis le ton se fait plus confidentiel, même si la voix reste audible. Le barde a l'air un peu gêné, embarrassé.

"Tu... Ecoute Jay... je... je voudrais te demander une faveur. Non, pas un entrainement ; On verra ça plus tard les entrainements. Je... Tu voudrais bien veiller à ce qu'Aé et moi on soit moins sollicités ? On n'arrive plus à se voir en ce moment et... enfin... tu comprends ? On a besoin de souffler un peu je crois."

La métisse cligna des yeux, silencieuse. Après avoir laissé planer un petit silence, elle dit :

- "Je peux vous servir de couverture, oui. Dévier les demandes, en prendre certaines pour moi, etc. Toutefois...

...Que ferai-je des amis qui souhaitent simplement vous voir ?"

- "On ne va pas disparaître mousmé. Je... je ne sais pas trop comment te dire."

Il passe la main dans sa nuque, ennuyé de ne pas savoir comment dire ce qu'il ressent. Il plonge un instant son regard dans celui de sa métisse préférée... croyant capter une lueur de malice mêlée à sa question sincère.

"Juste un peu de temps... Y'a eu des mots graves échangés... Des choses qui font mal, surement mal comprises, ou dites trop vite j'en sais rien. On a besoin de relâcher la pression pour y voir plus clair, tu comprends ?"

Puis il inspire plus fort et se ressaisit. Sa main se pose sur l'épaule de la furtive à qui il confie tant et si souvent.

"Tu sauras faire, j'ai confiance en toi. Je vais dormir, je suis claqué. Tu as besoin de quelque chose pour toi ?"

La fenêtre s'entrouve avec un léger grincement et deux yeux brillants se posent sur les elfes entourés de pénombre.
La tête s'incline lentement sur la gauche....

"Miaouu ?"