Dans les couloirs à la propreté glacée de cette aile du Grand Temple, une prélate avançait d'un pas rapide. Sa robe, uniformément grise, signait son appartenance à cet ordre méconnu des émissaires d'Elune, mais sur ce gris immaculé, une petite broche d'argent disait aussi l'importance de sa fonction. Les sentinelles en faction ne s'y trompèrent pas et s'abstinrent soigneusement de lui poser la moindre question.
Devant la haute porte de chêne couvertes de motifs entrelacés, l'émissaire se signa et déclina à voix haute et claire son identité, provoquant une sorte de frémissement dans les arabesques gravées. La porte pivota sans bruit.
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"Entre et dis moi le fruit de tes recherches Amarindell. Sois concise et précise je te prie."A l'intérieur, la haute prêtresse A'moora disposait, en vue d'une séance de méditation, quelques baguettes d'encens sur le périmètre d'un pentacle d'argent.
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"Il se nomme Silimaüre, haute dame. Il est un valeureux chasseur, membre d'une ligue réputée qui porte les armes contre les pires ennemis de notre race."-
"Silimaüre dis-tu... Bien. Que sais-tu d'autre de lui ?"-
"Il a quelques amis de valeur et semble apprécié parmi les siens. Il est discret, un peu effacé parfois. Il possède une fortune appréciable et surtout semble porter à votre fille une certaine affection."Le regard de la haute-prêtresse ne cilla pas, n'émit aucune émotion, comme si cet aspect de la question n'avait aucun intérêt.
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"Rassemble tout ce que tu peux apprendre. Je veux me prémunir contre toutes les attaques quant au choix d'unir ma fille à ce frère. Fais surveiller ses relations, vérifier à la consigne la provenance de ses biens s'il en a. Rapporte moi tout défaut de coopération dans la tâche que je t'ai confiée. Tu peux disposer."-
"Si... si je puis me permettre dame..." s'excusa l'émissaire.
La vieille A'moora leva un sourcil en posant un regard lourd sur l'impudente, et priva la prêtresse d'une invitation explicite à s'exprimer. Elle se plaisait à laisser à son interlocutrice seule l'initiative et le risque potentiel de la contrarier. Elle se contentait de se verser un peu de vin.
"Il y a un certain Hoctane, haute dame, qui pourrait faire également un bon parti. Il... il fait partie des cadres d'un ordre récent dirigé par l'une des nôtres, dame Tristrania. Nous croyons savoir, d'après les statuts déposés auprès des autorités de l'Alliance, qu'elle porte le grade de Grand Commandeur."-
"Tristrania ?!"La haute prêtresse eut un mouvement d'humeur. Une goutte de nectar, échappée du calice, vint s'épanouir sur la nappe blanche qui adoucissait le marbre brut. L'évocation de cette Kaldoreï qui passait sa vie au service du roi de Hurlevent et s'abritait au sein de sa cathédrale comme on se terre pour échapper à son destin... l'ulcérait. Une fois déjà, il a plus d'une année, elle avait été amenée à la rappeler à l'ordre et à lui faire subir, au sein du Temple, une intense série de séminaires pour la rappeler à ses devoirs. Elle avait veillé à l'isoler de tout. Et voici qu'elle apprenait que non seulement la prêtresse était retournée à Hurlevent, mais que non contente de celà, elle était aussi devenue commandeur de cet ordre qui était pourtant bien moribond ! La peste soit de ces rebelles ! Et dire que cette bougresse avait la protection de Jiranda sous prétexte qu'elle faisait le bien autour d'elle. Quelle inconscience ! quelle inconséquence !
"Ne me dit pas que ma fille s'acoquine avec cette félonne !?"L'air inquiet de l'émissaire fut une réponse en elle-même qui acheva de plonger la dignitaire dans une fureur sourde dont elle avait le secret. On aurait dit que ses yeux brûlaient d'un feu noir. La poignée de bâtonnet d'encens qu'elle portait en main se ratatina sous l'effet d'une poigne qui la broyait aussi sûrement que les ombres qui la rongèrent en quelques secondes pour achever d'en faire une poussière malodorante.
Puis, lentement, son regard se plissa. Une idée machiavélique semblait faire son chemin.
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"Hoctane dis-tu ? Renseigne-toi sur lui aussi. Il pourrait bien nous servir."La prélate s'inclina et s'effaça avec la plus grande discrétion, laissant la haute prêtresse seule, drapée, hiératique, dans sa robe de velours sombre, le regard plongé au coeur du Temple vers la silhouette de la statue vénérée.
(texte original sur
http://highl.free.fr/lav/viewtopic.php?t=393 )